Le ministre Simon Jolin-Barrette va inverser le fardeau de la preuve en matière de déchéance parentale : un parent agresseur devra prouver qu’il ne devrait pas perdre son autorité.

Le 27 mars dernier, « Isabelle » * a pris la parole dans cette chronique1 pour demander à l’État de dépoussiérer l’article 606 du Code civil sur la déchéance parentale, dans la foulée de l’épouvantable drame qu’elle a vécu : son (désormais) ex-mari voulait continuer d’exercer son autorité sur leurs deux enfants, qu’il avait agressés sexuellement.

Isabelle m’avait raconté le combat de la reconstruction familiale, après la terrible découverte que le père de ses trois enfants en avait agressé deux. Elle m’avait aussi raconté le long combat judiciaire qu’elle avait entrepris pour que son ex soit déchu de son autorité parentale.

Car aussi extraordinairement incroyable que cela puisse paraître, un parent qui agresse sexuellement ses enfants peut conserver son autorité sur ceux-ci. Il peut notamment avoir un mot à dire sur les décisions médicales, de loisirs, de scolarité et de voyage.

La procédure de déchéance de l’autorité parentale est balisée dans l’article 606 du Code civil. Mais comme l’expliquait la mère de famille, c’était à elle, Isabelle, de prouver que le père, l’agresseur sexuel, méritait de perdre son autorité parentale…

Pas à lui, l’agresseur, de prouver au tribunal qu’il méritait de garder son autorité sur ses victimes.

Sur le fond, c’était déjà absurde. Et dans la forme, ce l’était tout autant : les procédures entamées par Isabelle et son avocate, MMarie-Laurence Brunet, ont été plus longues que le séjour de l’agresseur en prison…

J’ajoute qu’Isabelle a dû débourser 13 500 $ en frais de toutes sortes pour s’assurer que celui qu’elle appelle désormais « Monsieur » ne joue plus de rôle dans la vie de ses deux victimes.

En prenant la parole, cette mère avait un message fort simple : il est temps que le gouvernement du Québec inverse le fardeau de la preuve en matière de déchéance parentale dans les cas où un parent est reconnu (ou se reconnaît) coupable d’infractions de nature sexuelle sur ses propres enfants.

Ce message a été entendu : Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec, a lu le cri du cœur d’Isabelle le 27 mars dernier, dans La Presse. Il en a été choqué. Et dans sa réforme du droit de la famille actuellement à l’étude à Québec, le projet de loi 12, le ministre va corriger l’absurdité qu’a dû vivre Isabelle.

« Le fait qu’Isabelle ait choisi de raconter son histoire a permis de découvrir une lacune du système de justice, m’a dit le ministre, en entrevue. Je la remercie pour ça, elle fait œuvre utile. On va faire des changements. »

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Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec

Ce n’est pas normal que la preuve repose sur les épaules d’un parent pour demander au tribunal de retirer l’autorité parentale d’un autre parent qui a agressé ses enfants. Ce sera à l’agresseur de convaincre un tribunal qu’il ne mérite pas de perdre son autorité parentale.

Simon Jolin-Barrette, ministre de la Justice du Québec

Simon Jolin-Barrette explique que parmi les motifs recevables pour faire une demande de déchéance de l’autorité parentale, seront considérées toutes les infractions sexuelles, qu’elles aient été commises sur ses propres enfants ou pas.

« Si un parent est trouvé coupable ou se rend coupable de pédopornographie avec des enfants tiers, l’autre parent pourra s’adresser au tribunal pour lancer une demande de déchéance parentale. Lorsqu’on a une décision d’un tribunal impliquant une notion de violence sexuelle, ce sera à la personne coupable de démontrer qu’elle ne doit pas perdre son autorité parentale. »

Deux articles du Code civil seront ainsi modifiés dans la réforme du droit familial pilotée par le ministre Jolin-Barrette : 33 (pour toutes les décisions qui touchent l’intérêt de l’enfant) et 606 (renversement du fardeau de la preuve et ajout de la violence sexuelle comme motif grave pouvant être invoqué pour justifier la déchéance).

Le cas d’Isabelle, selon le ministre, rappelle l’histoire d’Océane racontée dans La Presse2 par ma collègue Isabelle Hachey en août 2022 : une jeune femme qui avait choisi de garder l’enfant conçu lors d’une agression sexuelle et qui a dû se battre pour que l’agresseur n’ait pas de droit parental sur l’enfant.

Dans ces deux cas, Québec a agi pour corriger des angles morts du système de justice et faciliter la vie des victimes.

« Mon objectif, c’est que ce soit beaucoup plus facile pour les victimes, remarque Simon Jolin-Barrette. Il faut que naviguer entre les différentes chambres du système de justice soit plus facile. Ce qui se passe en Chambre criminelle doit être pris en compte en Chambre civile, en Chambre familiale. Ça va de pair avec l’esprit du nouveau Tribunal spécialisé en violences conjugales et sexuelles, où nous nommons un ‟coordonnateur judiciaire” pour naviguer entre les différentes chambres. »

Dans ce nouveau régime, un parent comme Isabelle devra sans doute payer des frais pour lancer le recours, mais jamais à hauteur de 13 500 $, comme Isabelle a dû le faire. Ce sera au parent agresseur d’engager le gros des frais de recherche et d’avocats pour se défendre.

J’ai demandé à Isabelle ce qu’elle pensait de la décision du ministre Jolin-Barrette. Elle était aux anges : « Je trouve ça génial, m’a-t-elle déclaré, lundi. Le message que ça envoie à la société, c’est que ce n’est pas parce que tu as un enfant que tu as un droit acquis sur lui. Une agression sexuelle sur ton enfant, ce n’est pas une erreur ponctuelle que tu peux juste tasser de côté, sous prétexte que tu as un lien avec lui. C’est grave, et la modification du ministre va le reconnaître. »

* Prénom fictif pour protéger l’identité des enfants

1 Lisez la chronique « Déchéance parentale : le long combat d’Isabelle » 2 Lisez la chronique « L’enfant du viol, la vérité et la justice »