Le gouvernement de François Legault a choisi le 29 mai pour annoncer en grande pompe la fabrication de batteries vertes à Bécancour. Malheureusement pour lui, c’est ce jour-là que Michel Côté est mort. L’éclipse médiatique était inévitable.

Peu après, le Québec s’est mis à brûler. Nouvelle éclipse — voilée, cette fois, par la fumée des incendies de forêt.

Décidément, ce n’était pas la semaine du premier ministre. Il l’a d’ailleurs souligné, samedi, sur Facebook. Bien sûr, il suivait de près la situation des incendies, a-t-il écrit. « Mais je voulais quand même vous parler ce matin d’une annonce extraordinaire qu’on a faite cette semaine et qui est passée un peu inaperçue. »

Parlons donc de cette annonce. Dès 2025, General Motors produira des batteries de véhicules électriques dans le parc industriel de Bécancour, au cœur de ce qui est appelé à devenir, selon le gouvernement, la Vallée de la transition énergétique.

Nous assistons ainsi à la naissance d’une industrie qui changera l’économie du Québec, d’après François Legault. « Il y aura un avant et un après 29 mai 2023. » Rien de moins.

Lors de l’annonce, le premier ministre partageait la scène avec… un Hummer. Électrique, d’accord, mais un Hummer quand même. Le symbole ultime de l’excès, de la surconsommation et du gaspillage.

Et c’est ce mastodonte que le gouvernement a choisi pour nous annoncer une nouvelle ère verte au Québec !

C’est un peu comme s’il avait voulu nous rassurer. Comme s’il avait voulu nous dire : vous n’aurez pas à changer vos habitudes. Tout sera comme avant. Le climat qui se dérègle représente même une formidable occasion de créer des emplois. Réjouissez-vous, le Québec deviendra le leader mondial de l’économie verte !

Oubliez les sacrifices inévitables dont les trouble-fêtes vous rebattent les oreilles. Oubliez les incendies de forêt, les populations évacuées, le smog étouffant Montréal, la Santé publique prévenant de fermer vos fenêtres.

Circulez, il n’y a rien à voir…

Faites comme nous : fuyez en avant…

Allez, circulez dans vos bagnoles monstrueuses et maquillées de vert. Et tant pis pour les bouchons…

Bien sûr que le Hummer électrique émet moins de CO2 que l’original. Mais il n’est pas écolo pour autant. Sa production est énergivore. À elle seule, son immense batterie exige d’extraire autant de lithium que pour trois voitures électriques plus modestes. Et puis, on n’a certainement pas besoin de cette version civile des Humvees de l’armée américaine dans nos rues.

Le pire, c’est que les batteries vertes de Bécancour seront produites avec du gaz brun. La société Énergir cherche en effet à agrandir sa capacité gazière dans le parc industriel afin de desservir les entreprises qui viendront s’y installer, nous apprenait mon collègue Charles Lecavalier mardi.

Lisez l’article « Batteries vertes, “ gaz brun ” »

Ces entreprises consommeront 30 millions de mètres cubes de gaz naturel fossile par année. Du coup, elles émettront 50 000 tonnes de CO2 dans l’atmosphère. L’équivalent des émissions diffusées par une municipalité de 5000 habitants.

Et c’est ainsi qu’on polluera pour produire de l’énergie verte… enfin, verte… disons plutôt caca d’oie.

On s’est bien gardé d’aborder ce point de détail, lors de l’annonce du 29 mai. Vrai que ç’aurait été un peu gênant : dans son Plan pour une économie verte, le gouvernement écrit que les futures usines devront privilégier « un approvisionnement en énergies renouvelables ». Oups.

L’autre truc gênant, c’est que General Motors n’a pas choisi Bécancour pour les charmes du Centre-du-Québec. Le constructeur automobile américain y a été attiré par des subventions fédérales et provinciales totalisant 300 millions de dollars.

Ainsi, au nom de l’environnement, les contribuables financeront la construction de Hummer électriques, qui seront ensuite vendus aux clients qui en auront envie — mais surtout les moyens.

J’ai beau chercher, je ne trouve pas la sobriété, énergétique ou autre, dans ce cas de figure.

Surtout, je me demande à quoi penseront ces mêmes contribuables la prochaine fois que le ministre Pierre Fitzgibbon leur dira d’attendre la nuit avant de partir leur lave-vaisselle.

On n’y arrivera pas comme ça. Il faut un plan. Il faut investir massivement dans la mobilité durable, disent les experts. Ça veut dire, entre autres, bonifier et électrifier les transports collectifs. Appliquer le principe du pollueur-payeur. Bref, se doter d’une véritable stratégie pour réduire le parc automobile de la province.

Mais ce plan n’existe pas, à Québec.

Pas plus qu’il n’existe de plan d’adaptation aux changements climatiques digne de ce nom. Mardi, François Legault a reconnu devoir en faire plus. Mais il refuse de verser des milliards aux villes, qui estiment — sur la base d’une étude bien faite — en avoir besoin pour s’adapter au réchauffement de la planète.

Il faut un plan solide, un vrai. Il faut changer les mentalités. Et pour vraiment réduire notre impact carbone, il faudra du courage politique. Ça ne se fera pas tout seul. Ni en subventionnant la construction de Hummer, tout électriques qu’ils soient.