Tout le monde se demande si le ministre « le savait », mais personne n’a l’air de se demander s’il « le pouvait ».

Je parle ici du cas d’un des pires criminels au Canada, Paul Bernardo. Le psychopathe a été transféré d’un pénitencier à sécurité maximale en Ontario à un pénitencier à sécurité moyenne au Québec il y a trois semaines.

Quand l’information a été diffusée, fin mai, le ministre a dit qu’il était choqué et qu’il venait de l’apprendre. On sait maintenant que son bureau a reçu l’information au mois de mars.

Le ministre veut nous faire croire que l’information ne s’est pas rendue jusqu’à lui. Ce n’est pas crédible. Les meurtres de Leslie Mahaffy et Kristen French, deux adolescentes, ont traumatisé tout le pays, et les gens de la région de Toronto en particulier. Une note des Services correctionnels arrive au bureau du ministre avec le nom « Bernardo » et quoi, les gens font « Bof ! On ne dérangera pas le ministre avec ces niaiseries-là » ? Ça me semble hautement improbable, quand on connaît le moindrement la paranoïa médiatique des cabinets politiques.

Bien entendu, l’opposition lui a sauté dessus jeudi. Ou bien il y a de l’incompétence dans ce cabinet, ou bien le ministre a menti sur le moment où il a appris cette nouvelle.

Mais revenons au fond de l’affaire : quelle que soit la date à laquelle il a pris connaissance des faits, qu’y pouvait-il ?

Si j’ai bien lu la loi : rien. Ce n’est pas le job du ministre de classer les prisonniers.

Bien entendu, si le ministre a menti au public ou au Parlement, on doit lui en faire reproche. Il a profité de la publication de la nouvelle pour dire son indignation avant que l’opposition l’accuse d’être responsable, ou d’avoir laissé faire ce transfert d’établissement.

Je lui reproche ceci de plus grave encore : il a fait croire qu’il pouvait changer cette décision. Il a demandé sa révision par un groupe. Peut-être que la pression politique finira par faire changer la décision. Mais, sans refaire ma chronique de l’autre jour, je le répète : ce n’est pas aux politiciens de gérer le détail de la gestion individuelle des cas dans les pénitenciers.

Paul Bernardo ne doit pas sortir de prison et ne sortira pas de prison.

PHOTO JIM RANKIN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Paul Bernardo (au centre), en 2003

L’horreur de ses crimes nous fait dire en plus, spontanément, que même après 30 ans, Bernardo devrait rester au « maximum ». Mais ce n’est pas comme ça que les « cas » sont gérés.

Les critères de classement des prisonniers dans les pénitenciers sont dans la loi. La nature du crime, bien sûr, mais la dangerosité actuelle (derrière les barreaux), les risques d’évasion, l’attitude du prisonnier, sa participation aux programmes sont des facteurs qui influeront sur son classement.

Le but du système correctionnel est aussi de réhabiliter… même ceux qui ne sortiront pas. Tenir compte de l’évolution des comportements est donc essentiel pour gérer les individus à l’intérieur des murs.

Or, dans la loi, le pouvoir est dévolu à la commissaire – sous la direction du ministre, ça va de soi. Oui, la commissaire rend des comptes. Mais le ministre n’administre pas les cas. Tant mieux !

Si cette tâche a été éloignée du politique, c’est pour de bonnes raisons. D’abord, le ministre a beau connaître le crime commis, il n’a pas le dossier du prisonnier. Ni la vue d’ensemble des autres condamnés.

La peine infligée par la cour est une chose, l’administration de cette peine dans une société carcérale en est une autre.

Plus fondamentalement, l’influence politique pourrait favoriser des cas arbitrairement – un ami, un allié, une personne connue du gouvernement. Ou défavoriser un prisonnier, selon l’humeur du moment.

Le ministre Mendicino a manqué une bonne occasion d’expliquer le système, au lieu de jouer les indignés « pas au courant ». Mais j’avoue que ce n’était pas une « bonne » occasion. Politiquement, personne ne veut avoir l’air de minimiser la gravité des crimes de Bernardo.

Ce n’est pourtant pas de ça qu’il s’agit. Une fois une personne envoyée en prison pour un mois, un an, une vie, comment organise-t-on la vie, les vies de ce monde clos ?