Sérieusement, qui pensait que les juges de la Cour suprême canadienne allaient annuler un traité international sur les réfugiés avec les États-Unis ?

Cet enjeu immense, qui touche toute l’humanité, ira en grandissant pour les années à venir. Sa solution, ses solutions seront avant tout politiques, pas juridiques.

Je comprends Amnistie internationale, je comprends les demandeurs d’asile, je comprends leur combat humanitaire. Mais ce n’est pas devant les juges que cet enjeu doit se traiter, et la Cour l’a dit à l’unanimité (à huit juges, mais si le juge démissionnaire Brown avait pu signer, c’eût été 9-0).

« Notre Cour n’est pas chargée d’apprécier le bien‑fondé des politiques canadiennes en matière d’immigration, une question que les tribunaux ne sont pas institutionnellement conçus pour évaluer, encore moins pour réformer », écrit le juge Nicholas Kasirer, en guise d’avertissement. « Notre Cour n’est pas appelée à résoudre l’épineuse question des entrées irrégulières au Canada via des passages frontaliers autres que les points d’entrée terrestre officiels », ajoute-t-il.

La question centrale à laquelle la Cour suprême devait répondre était de savoir si l’Entente sur les « tiers pays sûrs » avec les États-Unis viole le droit à la vie et à la sécurité des migrants.

Ce qui est en jeu ici, c’est le sort des migrants qui arrivent à un poste frontière canadien en provenance des États-Unis. En vertu de l’Entente, peu importe leur premier pays d’origine, ils sont refoulés sur le territoire américain. C’est arrivé notamment à une Éthiopienne et à une Syrienne, qui étaient requérantes dans cette affaire. L’idée de l’Entente est que les réfugiés demandent l’asile dans le premier « pays sûr » où ils mettent les pieds.

Dans le cas de ces femmes, elles étaient passées par les États-Unis, s’étaient présentées à un poste frontière canadien et avaient aussitôt été retournées sur le territoire américain. Elles ont été détenues pendant plusieurs semaines aux États-Unis. Pour vérifier leur état de santé, d’abord. Puis avec des criminels de droit commun, dans une prison mal chauffée. Est-ce un traitement inhumain au point d’engager la responsabilité du gouvernement canadien ?

Il va de soi que la Cour suprême ne peut pas donner d’ordre aux autorités américaines, ou de n’importe quel autre État. Mais elle peut contrôler la légalité des gestes du gouvernement canadien quand il fait affaire avec un pays ne respectant pas les droits fondamentaux. Par exemple, la Cour refusera de renvoyer dans son pays une personne recherchée pour un crime si la torture l’attend. La Cour a déjà décidé qu’on ne peut pas renvoyer aux États-Unis une personne recherchée par la police si elle risque la peine de mort – un traité Canada–États-Unis permet d’exiger une peine d’emprisonnement à la place.

Autrement dit, le gouvernement canadien ne peut pas se laver les mains du fait que des violations des droits qu’il pourrait empêcher ont lieu hors de son territoire.

Sauf qu’ici, la preuve ne révèle pas d’abus des droits systématiques ou inacceptables. On peut critiquer l’approche américaine, mais les États-Unis sont encore un État de droit. Les recours aux tribunaux pour contrôler la légalité d’une détention (habeas corpus) existent et il n’est pas vrai que la détention y est « systématique » ou inhumaine, dit la Cour.

Le fait de désigner un tiers pays « sûr » ne signifie pas que ce pays doive « avoir des politiques ou des antécédents en matière de respect des droits de la personne qui sont identiques à ceux du Canada, dans la mesure où les pays désignés respectent certaines exigences minimales ».

Il reste un bout de contestation, qui retournera en Cour fédérale : on alléguera que l’effet net de l’entente crée une discrimination envers les femmes. Je ne parierais pas cher sur le succès de cette nouvelle mouture du même problème, qui risque de trouver la même solution judiciaire.

En filigrane ici, il y a le concept de « courtoisie internationale ». C’est une sorte de diplomatie judiciaire, une retenue, pour ne pas dire une réticence dont les tribunaux font preuve quand il s’agit de juger par la bande des systèmes étrangers, et tout particulièrement les États-Unis.

Quoi qu’on pense de cette entente, en l’absence d’une preuve de violation grave et insoutenable par les Américains des droits des réfugiés expulsés par le Canada, la Cour ne s’en mêlera pas. Elle n’a pas la compétence pour le faire. Il s’agit manifestement d’un domaine politique, qui implique les relations avec le principal allié, partenaire économique, ami, voisin, etc. du Canada. Partenaire qui se trouve à partager 8891 km de frontière.

Ça ne règle évidemment pas le cas de cette entente critiquable à plusieurs égards. Ni le sort des migrants.

Mais l’annulation d’un traité n’est pas si simple. Dans le jeu subtil des relations internationales, ce qu’on décide d’annuler à gauche peut entraîner des mesures de rétorsion à droite.

En tout état de cause, c’est au gouvernement Trudeau de renégocier cette entente, pas aux juges, et la chose est clairement dite.