Ce n’est pas ce que Pierre Poilievre voulait. Le chef conservateur sort perdant des quatre élections partielles tenues lundi. Même s’il garde ses deux sièges (Portage–Lisgar au Manitoba et Oxford en Ontario), ses appuis ont diminué. Et on commence à mesurer le poids de sa dette à l’endroit des plus énervés de ses sympathisants.

Dans l’histoire récente, les conservateurs ont misé sur deux stratégies. La première, utilisée avec succès par Stephen Harper en 2011, consiste à unifier le mouvement et rallier les modérés. Cela exige de l’autorité sur les troupes et de la discipline sur le message.

L’autre approche, celle des républicains aux États-Unis, est de mobiliser ses fidèles. Au lieu de viser le centre mou, on offre un discours sans compromis pour inciter ses partisans à voter.

M. Poilievre a choisi cette deuxième voie, et les résultats préliminaires sont décevants.

Justin Trudeau gouverne depuis huit ans. L’usure du pouvoir le rattrape. Depuis quelques mois, il s’enfonce avec les tentatives d’ingérence du régime de Pékin. Avec leur nouveau chef, les conservateurs devraient caracoler dans les sondages. Et pourtant, ils restent à égalité statistique avec les libéraux.

Lors des deux dernières campagnes électorales, ils ont gagné le vote populaire tout en remportant moins de circonscriptions parce que leurs appuis étaient trop concentrés dans les Prairies.

Courtiser les convaincus ne suffit pas. Au contraire, ça peut nuire, comme semblent le montrer les résultats des partielles.

En 2011, M. Harper avait réussi à gagner dans Winnipeg–Centre-Sud. Certes, c’était une anomalie – hormis cet intermède, les libéraux y ont régné depuis les années 1980. N’empêche qu’au minimum, M. Poilievre aurait espéré augmenter son nombre de votes. Or, le contraire s’est produit. Son parti a perdu quatre points de pourcentage. Les néo-démocrates ont connu une baisse encore plus grande, de six points.

L’interprétation la plus plausible n’augure rien de bon pour les conservateurs : c’est que M. Poilievre fait peur. Assez pour motiver les libéraux à voter et pour inciter les néo-démocrates à appuyer les rouges, le nez pincé, afin de lui bloquer la voie.

Pour prendre le pouvoir, M. Poilievre doit rafler au moins 21 sièges aux libéraux. Et ça, ce serait pour être à la tête d’un gouvernement minoritaire qui peinerait à rallier ses rivaux et garder la confiance de la Chambre. Son véritable objectif : gagner 53 sièges pour devenir majoritaire.

La recette employée durant les partielles risque de se retourner contre lui. Dans Portage–Lisgar, les conservateurs affrontaient Maxime Bernier, leur bête noire et leur obsession. Pour l’écraser, le candidat bleu Branden Leslie a fait campagne très à droite. Il a relayé les théories conspirationnistes sur le Forum économique mondial, en reprochant à M. Bernier d’y avoir participé en 2008 alors qu’il était ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Harper. En d’autres mots, M. Leslie attaque l’approche du dernier chef conservateur à avoir obtenu une majorité…

L’équipe Poilievre a aussi distribué des tracts avec une photo de M. Bernier qui défilait en 2016 pour la Fierté gaie. Le candidat Leslie a appuyé la thérapie de conversion qui sert à « guérir » une personne de son orientation sexuelle. Détail gênant pour lui : tous les partis, y compris le Parti conservateur, ont voté pour interdire cette pratique.

Portage–Lisgar n’est pas Las Vegas. Ce qui s’y passe n’y reste pas. Les libéraux ont fait le plein de captures d’écran et de vidéos pour la prochaine campagne électorale.

Dans son discours d’adieu, l’ex-chef conservateur Erin O’Toole a fait cette mise en garde : « La politique-spectacle alimente la polarisation, l’étalage de vertu remplace la discussion, et bien trop souvent, nous utilisons la Chambre pour générer des extraits vidéo plutôt que pour entamer des débats nationaux. »

Pour gagner la course à la direction conservatrice, M. O’Toole avait viré à droite. Il avait ensuite tenté un recentrage qui avait frustré ses troupes sans convaincre les électeurs, qui se demandaient quelle version du chef était la bonne. Cette dette avait fini par le couler.

Son successeur ne souffre pas de tels remords. Durant la course à la direction, il était profondément lui-même. Et depuis sa victoire, il ne s’assagit pas, avec des résultats mitigés.

En 2006, les libéraux s’étaient ridiculisés avec une pub qui accusait Stephen Harper de vouloir militariser les villes. Mais dans les derniers mois, M. Poilievre a fait le travail lui-même en se caricaturant avec ses divagations sur les élites « globalistes » du Forum économique mondial, son éloge des cryptomonnaies, sa diabolisation de l’écofiscalité et sa charge contre l’approvisionnement sécuritaire des opioïdes. Et ce, même si les études démontrent que cette approche sauve des vies.

« Nous devenons des élus qui jugent leur valeur en fonction du nombre de mentions “j’aime” sur les médias sociaux, au lieu du nombre de vies que nous changeons dans le vrai monde », prévenait M. O’Toole. Ses propos résonnent aujourd’hui dans le vide.

Bien sûr, rien n’est joué pour la prochaine campagne électorale. Les rouges et les bleus sont encore à égalité. Mais au lendemain des élections partielles, les rumeurs sur le départ de M. Trudeau se font un peu plus discrètes, et les questions sur le jugement de M. Poilievre commencent à se poser.