Ça devrait être un souper entre alliés plutôt explosif. Pas du tout une rencontre proprette où les décisions sont prises à l’avance et les poignées de main, convenues. Le sommet de l’OTAN qui débute ce mardi en Lituanie risque de ressembler à un épisode de l’émission de téléréalité Un souper presque parfait. Et c’est tant mieux.

Les sujets au menu de la réunion entre les chefs d’État et de gouvernement des 31 États membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) sont tous plus piquants les uns que les autres. L’accession de l’Ukraine à l’alliance militaire. Les dépenses en défense inégales entre pays membres. La décision du président américain, Joe Biden, de fournir à l’Ukraine des bombes à sous-munitions malgré une convention internationale et une loi américaine l’interdisant. On pourrait mettre quatre emojis de piments forts à côté de chacun de ces enjeux.

Et que dire du plat surprise qu’a lancé sur la table le président turc, Recep Tayyip Erdoğan, à la toute dernière minute avant de le retirer ! Il a donné des sueurs froides au secrétaire général de l’organisation, Jens Stoltenberg, en demandant lundi qu’on « pave l’accès de la Turquie à l’Union européenne » avant qu’il ne « pave l’accès de la Suède à l’OTAN ». En fin de soirée, les négociations de coulisses avaient porté leurs fruits et la voie est maintenant ouverte pour que le pays scandinave se joigne rapidement aux autres alliés.

L’incident est clos, mais a donné le ton à la réunion aussi cruciale que houleuse.

C’est quelque peu risqué dans le contexte de l’invasion russe de l’Ukraine qui teste jour après jour la solidité de l’OTAN, mais c’est aussi un rappel de l’importance de l’organisation, qui doit assurer la sécurité de 1 milliard de personnes sur trois continents, et des questions qui y sont débattues.

On est loin, loin, loin de la « mort cérébrale » de l’alliance militaire qu’avait déclarée le président français, Emmanuel Macron, en 2019.

À une époque pas si lointaine, l’avenir de l’OTAN semblait tout sauf assuré. Pendant l’été 1995, alors que j’étais stagiaire à la Mission canadienne auprès de l’Union européenne, j’avais eu l’occasion de passer une semaine dans les coulisses du quartier général de l’organisation à Bruxelles avec un groupe d’étudiants. Nous avions eu accès à l’état-major de l’OTAN ainsi qu’à son leadership politique, pas très occupés en ces temps de paix. Ils ne cachaient pas que l’organisation devait retrouver sa raison d’être.

C’était l’époque où Francis Fukuyama dominait les palmarès de la pensée politique post-guerre froide avec son essai déclarant la fin de l’Histoire et la victoire des démocraties libérales. C’était l’époque du Partenariat pour la paix, qui avait été pensé pour faire une place aux anciens membres du Pacte de Varsovie au sein de l’OTAN, mais sans leur offrir de devenir membres. C’était l’époque où la Russie appauvrie de Boris Eltsine ne semblait être une menace pour personne.

Cette parenthèse a été de courte durée. Quelques mois après mon stage, l’OTAN a été critiquée pour son rôle dans des bombardements en ex-Yougoslavie, s’attirant des critiques d’observateurs qui n’y voyaient plus une politique de défense, comme le veut le traité fondateur de l’OTAN, mais de l’interventionnisme.

Ce sont aussi les alliés de l’OTAN qui ont prêté main-forte aux États-Unis en Afghanistan après les attentats du 11 septembre 2001. Les derniers soldats de la coalition ont quitté le pays en même temps que les Américains en août 2021, dans un chaos aussi décevant que scandaleux.

Il aura fallu l’invasion de l’Ukraine par la Russie six mois plus tard pour que l’OTAN retrouve enfin sa principale mission : assurer la défense commune de ses États membres et être le principal forum de discussion sur les questions de sécurité nord-américaines et européennes. Le sommet de Vilnius en est la plus belle démonstration.

Qui dit discussions dit aussi débats. Le Canada n’aura pas le choix de participer pleinement à celui sur les dépenses militaires minimales. Jens Stoltenberg aimerait que l’objectif des membres de consacrer 2 % de leur produit intérieur brut devienne une obligation. Ce dernier n’aura pas une tâche facile, puisque seulement 7 pays sur 31 respectent ce barème et que les décisions à l’OTAN sont prises par consensus. Néanmoins, on voit que les discussions de cuisine sont fécondes.

Justin Trudeau a fait un saut à Riga lundi, à la veille du sommet, pour annoncer que le Canada – qui consacre 1,3 % de son PIB aux dépenses militaires – doublera sa contribution en Lettonie, où il dirige un groupement tactique.

PHOTO ADRIAN WYLD, LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre Justin Trudeau discute avec des soldats canadiens à la base militaire d’Ādaži, à l’extérieur de Riga, en Lettonie.

Est-ce que ça suffira pour que le premier ministre passe un bon moment à table mardi et mercredi ? Il risque, comme beaucoup d’autres dirigeants, de sortir ses meilleures manières dans l’espoir de ne pas trop attirer l’attention lorsque le ton va monter.

Oui, les discussions s’annoncent beaucoup plus animées qu’autour de la table interminable où Vladimir Poutine tient ses réunions au Kremlin. Et c’est tant mieux. Le protocole et les faux-semblants n’ont pas leur place dans un souper de famille.