Il y a 20 ans, le bilan routier du Québec était catastrophique.

Proportionnellement, les Québécois se tuaient davantage que dans les États où la sécurité routière est exemplaire.

« Catastrophique » ?

Entre 2003 et 2008, le taux de mortalité routière a oscillé entre 8,1 et 9,4 décès pour 100 000 habitants.

« Exemplaire » ?

En sécurité routière, les États qui sont sous la barre des 4 décès pour 100 000 habitants font figure de modèle. Nous étions loin, les Québécois, des bilans exemplaires de la Suède, des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne. Nous étions loin des Ontariens, aussi.

Puis il y a eu un miracle. Nos routes se sont pacifiées. Le gouvernement libéral de Jean Charest a mis en place la Table de la sécurité routière, qui a fait plusieurs recommandations qui ont été mises en place par l’État.

Amendes plus lourdes, saisies de véhicules, radars photo, sensibilisation accrue, réaménagement de tronçons de route : le bilan routier du Québec s’est graduellement amélioré à partir de la fin des années 2000 pour propulser les Québécois parmi les premiers de classe dans le monde…

En 2014, le bilan routier des Québécois est tombé sous la barre des 4 décès pour 100 000 habitants : 3,9. En dix ans, la société a coupé de moitié le nombre de morts sur les routes : un exploit1. Autant de drames humains qui ont été évités.

Mais quand on regarde dans le rétroviseur, c’est clair : nous sommes devenus complaisants.

D’abord, le ministre libéral Robert Poëti a laissé la Table de la sécurité routière mourir de sa belle mort. Ensuite, vu le bilan routier enviable, la sécurité routière n’a pas été une priorité des gouvernements successifs.

À la mi-juin, la SAAQ a levé un drapeau rouge : le bilan routier se détériore2. Nous ne sommes pas dans la zone des années noires post-2000. Mais l’année 2022 affiche 4,5 morts pour 100 000 d’habitants.

Ça peut sembler peu, 4,5 plutôt que 3,9. Mais sur 8,7 millions de Québécois, c’est un nombre considérable de vies humaines.

Ainsi, d’après la SAAQ, 392 Québécois sont morts sur les routes en 2022 : c’est 46 de plus que la moyenne des décès de 2017 à 2021 (une hausse de 13,2 %).

Le bilan est particulièrement accablant chez les plus de 75 ans, les motocyclistes et les piétons (hausses de 21,8 %, 10,1 % et 22,7 % respectivement). Encore mardi, deux piétons âgés ont été fauchés à Mont-Royal : elle est morte, il est gravement blessé.

Et si le nombre de morts pendant les vacances de la construction est un baromètre de l’an 2023, le bilan routier risque d’être lourd : 23 Québécois ont perdu la vie pendant ces deux semaines…

La sécurité routière est l’objet de nombreuses études scientifiques dans le monde. Les recettes qui diminuent le nombre de morts ne relèvent pas de la magie. Je cite le premier rapport3 de la Table de la sécurité routière, présidée par le mathématicien Jean-Marie De Koninck, en 2007 : « Globalement, chaque diminution de 1 km/h de la vitesse moyenne pratiquée sur les routes entraîne une diminution d’environ 3 % des accidents corporels. »

Bref, pour ne citer qu’un exemple : inciter les Québécois à ralentir – les forcer à ralentir, aussi, avec un cocktail de limites de vitesse, d’aménagement des routes, d’amendes plus salées et de radars photo – devrait être une priorité de tous les instants.

Je sais que la ministre des Transports du Québec, Geneviève Guilbault, prépare un plan de sécurité routière. Elle doit le présenter d’ici la fin du mois.

Pour un gouvernement, renforcer la sécurité routière est un terrain délicat, politiquement. Dire aux gens de ralentir, imposer davantage de radars photo et augmenter les amendes pour les infractions au Code de la sécurité routière, c’est se magasiner des critiques…

Mais c’est carrément une question de vie ou de mort.

Prenez ces 392 Québécois morts en 2022. Là-dessus, il y en a 46 de plus que la moyenne des années 2017, 2018, 2019, 2020 et 2021. C’est 46 Québécois qui n’auraient pas dû mourir, si notre bilan routier 2022 avait été dans la moyenne des cinq années précédentes.

Ça peut sembler abstrait… Mais si la tendance à la hausse de 2022 se maintient en 2023, 2024, 2025 et 2026, c’est 230 Québécois qui mourront sur nos routes et qui ne seraient pas morts si le bilan routier était comparable à la période 2017-2021.

C’est une prime à la mortalité routière qu’il est stupide d’accepter de payer.

J’ai très hâte de voir le plan de Mme Guilbault. On jugera l’arbre à ses fruits. Mais je pense qu’il est absolument essentiel que la ministre des Transports ramène une Table de la sécurité routière comme celle qui a fait plus qu’œuvre utile de 2007 à 2014.

En plus de compter sur un ambassadeur de la sécurité routière pédagogue et sympathique en la personne de Jean-Marie De Koninck, la Table de la sécurité routière permettait de justifier des mesures parfois impopulaires avec des données solides.

À l’époque, le travail de la Table de la sécurité routière a permis de sauver des vies en améliorant le bilan routier. Une version 2.0 de cette institution, avec un solide relais politique (Mme Guilbault), en sauvera assurément d’autres.

1. Lisez « Nos routes se sont pacifiées », chronique publiée en 2019 2. Consultez le bilan routier 2022 de la SAAQ 3. Consultez le premier rapport de la Table de la sécurité routière, publié en 2007