Une langue de bois dans une bouche sans filtre : voici comment on aime nos politiciens. Quand ils parlent pour ne rien dire, on roule des yeux. Et quand ils finissent par dire quelque chose, on se fâche.

Des gens fâchés, il y en a beaucoup depuis que Pierre Fitzgibbon a avancé que le nombre de voitures au Québec devrait diminuer de moitié.

Il y a eu des réactions anxieuses. Le gouvernement viendra-t-il confisquer ma voiture, et si oui, quand ?

D’autres ont opté pour la critique constructive. ÇA NE MARCHERA PAS M. FITZGIBBON OÙ EST VOTRE PLAN ON AIMERAIT LE VOIR LÀ MAINTENANT TOUT DE SUITE SI POSSIBLE AVEC UNE FEUILLE DE ROUTE DÉTAILLÉE.

À noter que cette demande provient souvent de ceux qui démonisent chaque solution connue : le covoiturage, l’autopartage, le télétravail, le transport collectif, les pistes cyclables, l’écofiscalité et l’aménagement urbain – un concept qui signifie plus prosaïquement ne pas construire des logements toujours plus loin, là où les transports en commun ne se rendent pas.

Enfin, l’indignation a pris une troisième forme, la sociologie amateur. Elle consiste à évacuer les chiffres pour tout ramener à un conflit de valeurs. Dans ce cas-ci, à un clivage entre Montréal et les régions.

L’important est de personnaliser le débat. On juge l’individu en fonction de son code postal et de ses préjugés imaginés contre les régions, puis on l’accuse de choses qu’il n’a jamais proposées.

Ce qui se résume ici avec une phrase comme : bande de pédaleux de BIXI, pourquoi menez-vous une guerre contre les automobilistes qui occupent nos belles et vastes contrées ?

La réponse passe par un retour à la toute première question. Quand la police viendra-t-elle confisquer votre char ? Si la tendance se maintient, jamais.

On ne peut pas être constamment choqué au sujet de tout. Il faut choisir, ne serait-ce que pour gérer son horaire. Je propose de concentrer notre énergie noire sur l’absence de cible.

À l’heure actuelle, la politique de mobilité durable ne dit rien sur le ratio de véhicules par habitant. Elle arrive à échéance à la fin de l’année, et la prochaine version gagnerait à en inclure une.

Une autre réaction possible aux propos de M. Fitzgibbon ressemblerait donc à ceci : bien joué.

De 1990 à 2020, le nombre de véhicules a augmenté de 66 %, soit trois fois plus vite que la population. Les modèles sont aussi de plus en plus gros.

Cette dépendance sans cesse croissante à l’auto crée plusieurs inconvénients. Outre la pollution, il y en a trois autres.

D’abord, le coût économique. Le transport est le deuxième poste de dépense des ménages, derrière le logement et avant l’alimentation. L’importation de véhicules et d’essence (du reste du Canada et des États-Unis) creuse notre déficit commercial. Ce déficit diminuera grâce à l’électrification. Mais il ne disparaîtra pas, car les voitures resteront construites à l’étranger.

Ensuite, il y a le coût en énergie. On le sait, le Québec manquera bientôt d’électricité. Notre production devra doubler d’ici 2050 et chaque construction d’éolienne ou de centrale hydroélectrique suscite désormais la controverse. Toute économie d’énergie serait donc bienvenue.

Enfin, j’ajoute un dernier désavantage non négligeable : les coûts indirects comme la congestion, l’entretien des routes et les autres dépenses en infrastructures.

Ces rappels étant faits, revenons à la colère du départ.

Que propose M. Fitzgibbon ? Pour l’instant, rien.

Il dit simplement : ça nous coûte cher, alors trouvons des solutions. Personne n’a remis en question le droit des Abitibiens ou des Gaspésiens de posséder et de conduire une voiture. Le gouvernement est aussi conscient qu’aucun tramway ne fera la liaison entre Dégelis et Cabano et que le trajet à vélo y restera sportif, surtout en hiver.

N’empêche que partout où c’est possible, les citoyens méritent d’avoir plus d’options pour covoiturer, travailler de la maison, adopter l’autopartage, pédaler en sécurité ou profiter d’un transport collectif efficace.

Le voici, notre scandale du jour : le ministre de l’Énergie rappelle l’existence d’un problème connu, il dit vouloir le régler et une partie du peuple a l’écume aux lèvres.

Au fond, si la langue de bois reste si présente, c’est parce qu’elle permet encore de réduire le volume de notre perpétuel chialage ambiant.