Ça fait près de 20 ans que j’écris ponctuellement sur la sécurité routière. C’est un sujet qui me fascine. Au milieu des années 2000, j’étais scandalisé par la surmortalité routière au Québec, en comparaison des meilleurs endroits dans le monde.

J’ai pu me réjouir d’une avancée formidable, au début des années 2010 : le bilan routier québécois s’est peu à peu amélioré, au point de nous permettre de tomber confortablement sous la barre des 4 décès pour 100 000 habitants, un club sélect dans le monde.

Les bonnes nouvelles sont devenues annuelles, au point que nous avons collectivement oublié que nous revenions de loin.

Puis, ces dernières années, des nuages sont apparus dans le ciel. Petit à petit, le bilan routier s’est dégradé. Il n’est pas catastrophique. Mais si la tendance se maintient, le bilan risque de le devenir, catastrophique. L’année 2022 a été la pire depuis 10 ans : 45 morts de plus qu’en 2021, 13 % de plus que la moyenne de 2017 à 2021.

On a aussi remarqué une hausse du nombre de morts chez les piétons : hausse de 22,7 % en 2022, si on compare à la moyenne de la période 2017-2021.

Partout, des voix se sont élevées pour dire : ça suffit. L’Association des chefs de police du Québec a déploré la vitesse excessive. Piétons Québec a fait des sorties à chaque décès de piéton. Vélo Québec aussi. CAA, idem.

Ça s’est rendu à Québec. La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, avait promis un plan de sécurité routière pour la fin du printemps, il devait être publié juste avant la fête nationale. Elle a renvoyé les fonctionnaires à leurs devoirs, elle n’en aimait pas la première mouture. On a attendu jusqu’à mardi.

Le Plan d’action en sécurité routière 2023-2028 est costaud et sérieux. Les « fondamentaux » sont là. On peut trouver matière à chipoter parce que la ministre ne s’attaque pas à la taille du parc automobile, bien sûr. On peut dire que le légendaire diable sera dans les proverbiaux détails du plan présenté par Mme Guilbault.

Mais on ne peut pas dire que ce plan en 27 mesures n’est pas concret. Il l’est.

D’abord, les radars photo. Le Québec en compte une cinquantaine. Il faut s’attendre à en voir cinq fois plus sur le territoire. Les villes pourront en déployer aussi. La vitesse étant le premier facteur de mortalité routière, c’est une excellente nouvelle.

Bien sûr, on peut pester contre cette technologie. On peut la voir comme une machine à imprimer de l’argent : l’État a engrangé 63 millions l’an dernier. Mais on peut pester tant qu’on veut… ça marche. Les radars forcent les automobilistes à lever le pied. C’est vrai ici, c’est vrai ailleurs. Les meilleurs endroits dans le monde en matière de sécurité routière ont des radars photo.

Ensuite, la ministre vise encore une fois le portefeuille : les amendes pour certaines infractions, notamment la mise en danger des plus vulnérables – piétons et cyclistes –, vont augmenter. Avec une majoration des points d’inaptitude. Si vous déconnez en zone scolaire ou près d’un chantier routier, préparez-vous à payer la totale.

La ministre veut aussi une sorte de révolution dans l’aménagement des routes. Pour les nouvelles routes, ce sera plus simple. On va changer la Bible des ingénieurs qui les conçoivent, ce qu’on appelle le Tome I – Conception routière, pour y intégrer la protection des plus vulnérables.

Il y aura des fonds pour aider les municipalités à réaménager les rues autour des écoles, par exemple. L’aménagement des routes est capital pour ralentir les automobilistes. Sur des voies plus étroites, on ralentit plus naturellement. Et on ne peut pas doubler. Il faut des dos d’âne, des saillies de trottoir. En sécurité routière, trois mots sont cruciaux : aménagement, aménagement et aménagement.

Geneviève Guilbault promet également de créer une nouvelle version de l’ancienne Table québécoise de la sécurité routière, que l’ancien ministre des Transports Robert Poëti a bêtement laissée mourir. Ce « forum permanent d’échange et de discussion » éclairait les décisions du gouvernement avec des données basées sur la science et a contribué à améliorer le bilan routier, au début des années 2010.

L’ancien président Jean-Marie De Koninck était d’ailleurs à la conférence de presse de Mme Guilbault : il applaudit sans réserve le sérieux de son plan.

Moi aussi.

Je souligne au passage l’aplomb de la ministre Geneviève Guilbault. Elle maîtrise les statistiques, défend son plan sans lire de notes préparées à l’avance et on sent bien qu’elle a plongé dans les enjeux de sécurité routière.

Pour redresser le bilan routier, Mme Guilbault possède aussi une qualité qui va au-delà de la science : une poigne de fer. Ce sera nécessaire.