Sur la photo de police, l’ancien président penche légèrement la tête vers l’avant, comme un taureau défiant le torero.

On devine que la pose a été savamment pensée. Quand on est aussi conscient de son image que Donald Trump, on ne s’en va pas poser pour la postérité judiciaire sans s’exercer.

À moins d’être un innocent – enfin, je veux dire « innocent » dans le sens où on l’entend au Lac-Saint-Jean.

Non, c’est évident, Donald Trump a dû faire des tests. On a dû lui montrer la photo de Churchill, par Yousuf Karsh, qui avait obtenu un air de lion féroce en lui arrachant son cigare.

Voyez le portrait de Winston Churchill

« Soyez fâché, monsieur le président, c’est une injustice ! »

Il n’allait pas se faire croquer le portrait avec une tête de bandit. Vous savez : ce teint verdâtre et humide, cet air vaguement découragé, ou blasé, du voyou sur un avis de recherche surexposé ?

Il arborait son uniforme présidentiel – complet marine, chemise blanche immaculée et amidonnée, l’inévitable cravate rouge qui n’en finit plus de tomber.

Il est arrivé comme un président, pas comme un prévenu : Boeing 757 avec son nom en lettres d’or, comme un Air Force One privé. Puis le cortège des VUS noirs blindés.

La photo veut exprimer la colère, la fermeté aussi.

Parlez-moi d’un « accusé comme un autre ».

Mais regardez-y de plus près. Voyez ces sourcils laineux exagérément froncés. Ce monsieur-puissant-très-fâché-et-indigné a la chienne.

La colère et la peur sont souvent deux faces de la même pièce, après tout.

Comment n’aurait-il pas peur ? Ses partisans ont beau s’en balancer, il est tout de même occupé dans quatre affaires criminelles réparties dans quatre États américains. Trois de ses avocats sont coaccusés. Il y a déjà des rumeurs de défection dans son camp : Mark Meadows, son chef de cabinet, témoignera-t-il contre lui en échange d’un « deal » ?

Il ne contrôlera ni l’agenda de la cour, ni les micros, ni les tours de parole à la cour.

Il faut qu’il ait peur. C’est son tour.

Quand le journaliste Bob Woodward lui a demandé sa définition du pouvoir, Donald Trump a répondu : « la peur ». Un vrai chef doit inspirer la crainte.

Il ne fait pas boire du polonium 210 à ses adversaires, ne les défenestre pas et ne fait pas tomber des gens des bateaux ou des avions du ciel, comme Vladimir Poutine.

Mais c’est tout comme.

Depuis qu’il a mis les pieds pour la première fois sur une tribune pour devenir candidat à l’investiture républicaine, en 2015, c’est comme s’il avait liquidé tous ses opposants dans le parti l’un après l’autre. Ceux qui le haïssaient publiquement lui ont léché les bottes dès qu’il est devenu candidat, puis président. Peu importe ce qu’il disait, faisait.

Au débat républicain de mercredi, on a demandé aux huit candidats s’ils appuieraient le candidat Trump à la prochaine présidentielle, dans le cas où il remporterait l’investiture contre eux mais serait déclaré coupable dans l’un ou l’autre des dossiers.

Sept sur huit ont levé la main pour dire oui. Un seul, l’obscur gouverneur de l’Arkansas, Asa Hutchinson, a dit non, disant que Trump était « moralement disqualifié ». Même l’ex-gouverneur du New Jersey, Chris Christie, qui fait de superbes attaques contre Trump depuis des mois, a dit « oui »… Tout en disant qu’il faut cesser de « normaliser ce genre de conduite ».

Trump fait encore très peur à ses adversaires dans son parti. En particulier l’insipide numéro deux Ron DeSantis, incapable de le critiquer sérieusement.

Nikki Haley note tout de même que Trump est « le politicien le plus détesté aux États-Unis » et que le parti va encore perdre s’il le choisit. Mais la critique est surtout stratégique.

Et il a fallu quatre dossiers criminels pour qu’on commence à l’écorcher un peu dans ce parti qu’il a mis à genoux, à moitié hypnotisé, à moitié intimidé. Le phénomène est tout de même hallucinant : le type a perdu le vote populaire aux deux présidentielles, a essentiellement perdu les trois dernières élections (Congrès ou présidence)… mais rares sont ceux qui osent.

Ils ont tous peur de se faire empoisonner médiatiquement ou défenestrer politiquement.

Sauf que maintenant, c’est lui qui a peur. Il aura beau la jouer « chasse aux sorcières », il aura beau s’asseoir sur son immense popularité dans son parti, il ne contrôle plus le jeu. Et je ne crois pas que des condamnations éventuelles laisseront tout le monde républicain indifférent – si elles arrivent assez vite.

Le taureau fulmine, mais il a pris une pique sur le dos. La « peur de Trump » n’est plus seulement celle qu’il inspire aux autres. C’est aussi la sienne.