Au rayon du magasinage politique, les clients sont nombreux. Et à Québec, il y a de belles aubaines à faire.

En 2018, Gertrude Bourdon s’était présentée pour les libéraux après avoir flirté avec les péquistes et les caquistes, et c’est maintenant au tour de Pascal Paradis d’essayer diverses marques politiques. En octobre 2022, il était tenté par la CAQ. Une année plus tard, il s’est laissé séduire par le PQ.

De solides compétences transversales sont requises pour passer ainsi d’un parti à l’autre. Mais est-ce aussi épouvantable qu’on le prétend ? Je ne le pense pas.

Ce magasinage s’explique par des raisons qui vont au-delà des individus et de leur cynisme allégué.

Imagine-t-on un Américain modéré avec une expertise en santé qui hésite entre le parti de Joe Biden et celui de Donald Trump ? Peu probable, en effet. Chez notre voisin, la neutralité est devenue quasi impossible.

Si ce magasinage existe au Québec, c’est aussi parce que les clivages idéologiques s’estompent.

On regrette souvent que la politique manque d’idéaux, que nos élus ciblent les citoyens comme des consommateurs avec des promesses sans envergure et que les ministres soient relégués à un rôle de gestionnaires sans vision.

La question constitutionnelle n’a pas disparu, mais elle décline. L’affrontement gauche-droite demeure, mais les différences ne sont pas radicales. Et même si la langue, l’immigration et la laïcité opposent les « identitaires » aux « inclusifs », des passerelles existent entre les partis.

Reste qu’on peut se consoler. Au moins, l’extrémisme politique ne gangrène pas le Québec. C’est aussi cela qui explique pourquoi des candidats se magasinent un parti avec tant d’aisance.

Le magasinage n’est pas la quintessence du cynisme. Des profils sont pires. Allons-y en ordre de gravité.

Il y a le déserteur qui abandonne ses électeurs en démissionnant en milieu de mandat sans raison valable, à part la blessure d’orgueil de ne pas avoir été nommé ministre ou à une fonction parlementaire prestigieuse. Joëlle Boutin semble correspondre à ce profil.

Il y a ensuite le transfuge. Des cas sont motivés par des convictions sincères. Parfois, c’est pour prendre le risque de fonder un nouveau parti comme Jean-Martin Aussant et Lucien Bouchard. D’autres relèvent plutôt de l’opportunisme politique. On peut penser à deux adéquistes repêchés par Jean Charest juste avant les élections de 2008 qui annonçaient la débandade du parti de Mario Dumont.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancien premier ministre du Québec, Lucien Bouchard

Viennent ensuite les magasineurs. On peut les diviser en trois sous-catégories.

Il y a ceux qui changent de parti entre deux élections. Plus le hiatus est long, mieux ça se défend. La constance dans les principes aide aussi. Dominique Anglade, ex-présidente de la CAQ, était passée aux libéraux à cause de son malaise face aux positions identitaires, tout en s’assurant une place au gouvernement. Bernard Drainville a quant à lui mis de côté son vieux rêve de l’indépendance – il disait prendre acte du désintérêt de la population, nuance importante à ses yeux.

D’autres magasineurs sont des joueurs. Le sport de la politique les passionne, alors ils sondent les offres. Le programme est secondaire.

Bien sûr, rares sont ceux qui sont 100 % d’accord avec un programme. Tout ralliement à un parti implique certains compromis. N’empêche que certains sont plus souples que d’autres.

Enfin, le dernier sous-groupe de magasineurs est constitué des experts. Gertrude Bourdon y appartenait quand elle était PDG du CHU de Québec. Elle avait consacré sa vie à la santé, elle voulait faire de la politique spécifiquement pour ce dossier et elle se demandait quelle formation serait le meilleur véhicule. Ces magasineurs sont souvent aussi compétents que candides. Mme Bourdon avait exigé de la CAQ en 2018 que le budget en santé augmente de 8 % et que l’entente avec les médecins spécialistes soit maintenue, des conditions impossibles. Elle a finalement tenté sa chance avec les libéraux.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Gertrude Bourdon

On pourrait dire que Gaétan Barrette appartenait à la fois au sous-groupe des experts et à celui des joueurs.

Comment catégoriser Pascal Paradis, candidat péquiste dans Jean-Talon qui voulait se présenter pour la CAQ en 2022 ? S’il était indépendantiste, cette conviction n’était pas assez forte pour appuyer un parti qui avait désespérément besoin d’aide. Mais s’il était mû d’abord par l’ambition, il ne se rallierait pas à un parti comptant trois députés. À moins d’y voir un beau compromis entre l’idéalisme et le sport.

Peu importe, le PQ peut se réjouir que cette candidature démontre son retour en force.

Voilà pour la typologie des magasineurs.

Au Québec, ce portrait s’est compliqué avec la CAQ. Il était normal qu’une coalition attire à ses débuts des gens de diverses allégeances. Mais sa création remonte à 2011. Aujourd’hui, sa force d’attraction s’explique d’abord par sa popularité. Comment résister aux sirènes du pouvoir ?

On devrait juger les politiciens en fonction de leurs gestes, et non pas à partir de leurs motivations réelles ou supposées. Ce qui alimente le cynisme, c’est l’élu qui viole la loi, qui contrevient à l’éthique, qui dit le contraire de la vérité et qui agit en fonction de son intérêt personnel ou de ses motivations partisanes au lieu de défendre le bien commun.

Reste qu’il est normal qu’un électeur se pose la question : si un candidat a changé si facilement d’allégeance, est-il digne de confiance ?