Bonjour, tout le monde ! Je me présente, Grégoire Nadon, votre professeur de français de quatrième année. J’espère que vous avez passé de belles vacances. Et que vous êtes en forme. Moi, je suis un peu nerveux, parce que c’est la première fois de ma vie que je me trouve devant une classe.

Que voulez-vous, c’est pas ma job ! Je suis ce qu’on appelle un professeur non qualifié. Moi, mon métier, c’est jardinier. L’automne et l’hiver, je suis moins occupé, alors je me suis proposé comme tuteur. La pognez-vous ? Jardinier, tuteur… Non, c’est pas grave. Sachez que dans mon jeune temps, j’ai fait une mineure en littérature, alors ils m’ont dit que je pouvais vous enseigner. Parce que je connais ça un peu, le français, presque autant que l’engrais. Faites-vous-z’en pas, j’vous mettrai pas de l’engrais sur la tête. À l’école, l’engrais, ce sont les livres. C’est ça qui va vous faire pousser.

J’en vois parmi vous qui font la baboune. Vous vous dites : « Pourquoi, nous autres, on a un professeur non qualifié ? C’est-tu parce qu’on est moins bons ? » Pas du tout ! Vous, vous êtes des élèves très qualifiés. Vous avez tous réussi votre troisième année. C’est moi qui n’ai jamais étudié pour enseigner. Je vous comprends d’être inquiets. Qui prendrait l’avion avec un pilote non qualifié ? Personne. À moins de ne pas avoir le choix. Et vous, malheureusement, vous n’avez pas le choix. Parce que le voyage de la quatrième année à la cinquième année, pour vous, c’est pas t’à l’heure, c’est pas dans six mois, c’est pas dans un an, c’est maintenant. Faut décoller tout de suite, si on veut que l’an prochain vous puissiez prendre votre correspondance et faire le trajet de la cinquième à la sixième année. Vous n’avez pas le temps d’attendre qu’un pilote ayant fait toutes ses heures de vol soit prêt à vous conduire. Alors c’est moi qui vais le faire, du mieux que je peux. J’ai déjà fait toute la traversée, de la maternelle à l’université, assis à votre place, alors je pense que je sais par où passer. En tout cas, je vais y mettre tout mon cœur. Et si vous m’aidez, on va y arriver.

Je vois qu’il y a quelqu’un avec la main levée. Quel est ton nom ?

— Béatrice.

— Et c’est quoi, ta question, Béatrice ?

— Si, pour les avions, y a toujours un pilote qualifié, pourquoi y en pas pour les enfants ?

— Ça, c’est une très bonne question.

— C’est-tu parce qu’on est moins importants ?

— Non, au contraire ! C’est ben plus important là où vous allez que d’aller à Punta Cana ou à Paris. C’est ce voyage-là qui va vous former pour toute votre vie. S’il y a un endroit où il ne devrait y avoir que des gens super qualifiés, c’est bien l’école. Le problème, c’est qu’en ce moment, il y a plus de passagers que de pilotes.

— Pourquoi ?

— S’il manque de professeurs dans les classes, c’est parce qu’on a manqué de classe avec les professeurs. On les a tenus pour acquis. On leur a dit qu’ils faisaient le métier le plus important au monde, mais on ne les a pas traités comme s’ils faisaient le métier le plus important au monde. On s’est dit qu’être prof, c’est une vocation et qu’il y aurait toujours des gens qui auraient la vocation. Mais pour que les vocations naissent, il faut que ceux qui l’ont ne la perdent pas. Sinon, ils ne peuvent pas la transmettre. C’est comme pour mon jardin : s’il n’a pas de lumière, on va manquer de fleurs.

Ça fait trop longtemps que les enseignantes et les enseignants sont dans l’ombre.

On a toujours cru qu’il y aurait toujours assez de profs parce qu’il y en a toujours eu. Et soudain, on s’étonne d’en manquer. Pourtant, ceux qui s’en étonnent sont ceux qui ne le sont pas devenus. Il doit y avoir une raison.

— Ça commence à être compliqué, monsieur…

— Ça, c’est vrai ! C’est toujours compliqué quand on laisse les affaires traîner. Voilà pourquoi on va se mettre au boulot illico. Ça tombe bien parce que le bouleau, un jardinier, ça connaît ça ! Bon, vous ne riez pas parce que vous ne la comprenez pas, mais même si vous la compreniez, vous ne la ririez probablement pas.

Une dernière chose, avant d’ouvrir vos cahiers : j’espère juste être un suppléant assez compétent pour donner le goût à quelqu’un parmi vous de devenir un professeur qualifié.

Bonne rentrée et bon voyage à toutes celles et à tous ceux qui vont à l’école, quel que soit leur rôle.

C’est à la société de vous donner le goût d’y être, si elle veut continuer d’exister.