Pas trop gros, pas trop petit et toujours gentil : c’est la vision caricaturale que le Canada se donne. On aime que nos politiciens restent accessibles, et ils en subissent les conséquences.

Cela complique leur travail et menace leur sécurité.

Le meilleur exemple est le délabrement du 24 Sussex, résidence officielle du premier ministre. Justin Trudeau n’y a pas mis le pied depuis son élection en 2015. Ses prédécesseurs n’avaient pas osé rénover cette résidence construite en 1868. Ils anticipaient déjà les manchettes racoleuses : « pendant que le monde ordinaire en arrache, le premier ministre s’offre du luxe aux frais des contribuables ». Alors ils ont laissé cet édifice patrimonial tomber en ruine.

Les derniers travaux substantiels y remontent à 1951. En 2008, la vérificatrice générale évaluait la facture des rénovations à 10 millions. En 2021, l’estimation était rendue à 37 millions et le compteur tourne. L’amiante contamine encore les murs, la moisissure s’y est incrustée, le chauffage est déficient, le système électrique pose un risque d’incendie et la plomberie est également à refaire.

On n’imagine pas les Américains laisser ainsi tomber la Maison-Blanche en décrépitude – je sais, notre voisin fait face à d’autres petits défis de nature insurrectionnelle ces derniers temps, mais passons.

Mardi, Daniel Leblanc de Radio-Canada a révélé que la résidence du premier ministre pourrait être déplacée. Différents scénarios sont à l’étude et aucun n’a encore été soumis officiellement au gouvernement. Démolir et reconstruire pourrait être moins coûteux. Et trouver un terrain plus vaste permettrait d’élargir la zone tampon pour mieux se distancer de la rue et prévenir les menaces.

Cette saga n’est pas un évènement isolé.

Le premier ministre utilise un avion vétuste. Quand il se rendait à Bruxelles en 2016 signer le traité de libre-échange avec l’Union européenne, il a dû faire demi-tour après 30 minutes à cause d’un ennui mécanique. Son avion de rechange a aussi eu des défaillances. En 2019, il a été cloué au sol à Londres alors qu’il devait se rendre au sommet de l’OTAN. Une nouvelle flotte a été commandée il y a quelques mois.

Quant à la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, elle serait, dit-on à Ottawa, la seule parmi ses homologues du G7 à utiliser des vols commerciaux. Elle perd un temps précieux à attendre les vols et les correspondances. Cela peut même remettre en question sa participation à certains évènements moins importants qu’une rencontre du G7, mais néanmoins utiles.

Cette chronique ne vise pas à vous arracher des pleurs. Peut-être que vous vous fichez des drames aériens ou résidentiels de la caste politique. Mais il y a une autre conséquence de ce ti-counisme qui devrait préoccuper tout le monde : le risque sécuritaire.

Au fédéral, les ministres et les chefs de l’opposition n’ont pas de garde du corps, sauf s’ils font l’objet d’une menace précise. Ils ont seulement un chauffeur sans arme et sans formation de sécurité. Et à l’extérieur de la capitale, ils se font conduire par un simple employé politique.

À titre de comparaison, au Québec, chaque ministre dispose d’une voiture de fonction conduite par un agent armé de la Sécurité publique. Pour M. Legault, l’agent vient de la Sûreté du Québec.

Quelques altercations récentes ont donné la frousse. En août 2022, un militant anti-mesures sanitaires a avancé agressivement vers la ministre des Finances Chrystia Freeland à l’entrée d’un ascenseur.

Visionnez la vidéo de Chrystia Freeland invectivée

Jagmeet Singh y goûte aussi particulièrement. En mai de la même année, des militants anti-mesures sanitaires l’ont intimidé à un évènement en Ontario avec une haie de doigts d’honneur.

Visionnez Jagmeet Singh harangué par une foule

En 2020, un homme a saisi le journaliste Daniel Thibault par le bras pour procéder à une « arrestation citoyenne » en croyant qu’il était le député bloquiste Mario Beaulieu.

Et bien sûr, il y a toutes les menaces qui ne se rendent pas aux oreilles du public. On se souvient du forcené qui s’était introduit par effraction au 24 Sussex en 1995, armé d’un couteau. Ou encore de Justin Trudeau qui portait un gilet pare-balles à Mississauga durant la campagne de 2019. En 2022, le nombre de menaces de mort contre le premier ministre a doublé, selon des documents de la GRC obtenus par La Presse grâce à la Loi sur l’accès à l’information.

L’année dernière, la Sûreté du Québec a proposé aux chefs des partis québécois de revêtir un tel gilet à cause de récentes menaces.

Après son élection en 2021, M. Trudeau a donné pour mandat au ministre de la Sécurité publique de trouver des façons de mieux protéger les élus. Tout était sur la table, y compris un bouton rouge pour leurs bureaux.

À Ottawa, on explique que le modèle québécois est compliqué à reproduire au fédéral, où les distances sont plus grandes et les déplacements se font en avion. Comme l’a rapporté Radio-Canada en mai, le personnel manque aussi et on me confirme que ce n’est pas réglé. Même pour protéger M. Trudeau, le recrutement est difficile – les policiers sont en fonction 24/7 une semaine sur deux, un horaire peu attractif.

La politique n’est pas un métier normal, et encore moins facile. Ceux qui le font méritent au minimum d’avoir la tête tranquille.

Rectificatif
Une précédente version de cette chronique affirmait que les ministres au Québec sont protégés par un agent de la Sûreté du Québec. L’agent appartient plutôt à la Sécurité publique.