Une autre semaine, un autre cafouillage pour l’Autorité régionale de transport métropolitain.

Je parle ici de l’ARTM, la patente qui chapeaute le transport dans la région de Montréal. Jeudi, je jazzais ironiquement1 sur l’ARTM dans la foulée de ces deux nouvelles où elle a eu l’air folle, la semaine passée.

Nouvel embarras révélé par La Presse : les journalistes Henri Ouellette-Vézina et Tristan Péloquin ont fait le récit surréaliste du virage raté de l’ARTM vers un nouveau mode de paiement intégré pour tout le transport collectif de la région de Montréal.

Je résume simplement : en 2018, la Société de transport de Montréal (STM) a lancé un chantier pour faciliter le paiement des différents modes de transport dans la région2. L’idée : créer un compte client qui permettrait de payer toutes sortes de services, du BIXI au métro en passant par les autobus et même le stationnement sur rue.

L’idée est folle tellement elle est simple : faciliter la vie du citoyen.

Plus besoin de carte OPUS à recharger, de zones de tarification mal comprises qui vous plongent dans l’illégalité au nord de la station Henri-Bourassa sur la ligne orange, de télécharger une application ici et de payer à la borne (défectueuse) là-bas.

Mais l’ARTM, un an plus tard, a mis son veto. Citant des études juridiques, elle a sommé la STM de cesser ce projet. Tut, tut, tut : c’est à nous, l’ARTM, d’implanter un tel virage de paiement numérique… NOUS sommes L’AUTORITÉ.

Et c’est l’ARTM qui a ramassé ce ballon…

Le hic, c’est qu’il ne s’est rien passé.

L’ARTM n’a jamais pu mener à bien son propre projet. Si bien que cinq ans plus tard, on nous promet maintenant un mode de paiement unique pour le transport collectif et actif en… 2027.

Dans le reportage de mes collègues, on devine que le projet de la STM n’était peut-être pas optimal. Mais ce n’est pas là-dessus que l’ARTM a fait trébucher le projet de la STM, c’est sur une bête question de compétence.

Mais, là, en 2023, que le citoyen se réjouisse3 : l’ARTM a un plan !

La recharge de la carte OPUS au moyen d’un téléphone pour l’achat et l’ajout de titres sera disponible au premier semestre de... 2024.

Pour le paiement par carte de crédit ou de débit, ainsi qu’au moyen d’une application, on vise… 2025. Ou 2026.

Quant à un mode de paiement numérique unique réunissant « plusieurs modes de transport » sur une même et unique plateforme, ce sera en… 2027.

(Si vous croyez à ces échéanciers, j’ai entendu dire que Vincent Lacroix a des bitcoins à vendre.)

On me dira que ce sont des opérations complexes, que les fameuses « parties prenantes » sont nombreuses et que les enjeux d’« opérationnalisation » sont proverbialement délicats et que…

Je dis : bullshit.

Pourquoi je dis bullshit ?

Pour une raison bien simple : les Pays-Bas.

Les Pays-Bas (population : 17,5 millions d’habitants) peuvent compter sur un réseau de transports en commun – trains régionaux, bus, tramway et métro – super efficace. Depuis cette année, vous pouvez passer d’un mode de transport à l’autre en payant avec… votre carte de crédit4.

Il y a un système de carte rechargeable pour ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas payer par carte de crédit.

Mais pour le Néerlandais moyen – ou pour le touriste perdu (comme moi) –, voici comment ça marche, prendre le métro à Amsterdam.

Un, quand vous entrez dans une station de métro, vous tapez votre carte de crédit à l’entrée. Les portes s’ouvrent.

Deux, vous entrez dans une voiture de métro.

Trois, en sortant de la station de votre choix, vous tapez encore votre carte de crédit, pour sortir de ladite station.

Traduction : vous payez un coût fixe pour accéder au métro. Puis, vous payez pour la distance parcourue.

Ce que je vous décris là, un système de paiement numérique centré sur le client, ça existe dans des villes (on peut penser à Londres, Milan, Sydney et… Laval). Mais les Pays-Bas sont devenus le premier pays à implanter un tel système à l’échelle nationale.

Bref, peu importe l’agence de transport impliquée (le système OVpay fonctionne dans toutes les agences de l’État), le système ne vise qu’une chose : faciliter la vie du client. Le système de paiement n’est pas à la remorque des guéguerres entre agences régionales.

Évidemment, les Néerlandais ne se sont pas réveillés un matin en se disant : « Tiens, on va implanter un système de paiement numérique facile à l’échelle du pays. » Ça a pris des années pour le développer, en collaboration avec une entité qui s’y connaît en matière de paiements sans contact… Mastercard5.

Les gens de l’ARTM lisent des publications spécialisées. Ils assistent à des congrès sur le transport collectif. Ils parlent à leurs homologues des autres agences de transport de par le monde. Bref, pour utiliser le langage de la « gouvernance », les gens de l’ARTM connaissent les « meilleures pratiques » en matière de paiement numérique…

Alors je pose la question : qu’est-ce qu’il y a dans l’eau des Pays-Bas pour que les ARTM néerlandaises aient pu accoucher d’un système de paiement national facile et efficace et…

Et pas notre ARTM à nous ?

Je l’ignore.

Je sais ceci : si l’ARTM était un cheval, le vétérinaire mettrait humainement fin à ses souffrances.

1. Lisez « Chronique du mal de gorge » 2. Lisez « Système de paiement et de planification : récit d’un virage raté » 3. Lisez « Virage numérique dans le transport collectif : encore quatre ans d’attente » 4. Consultez le site de l’agence néerlandaise (en anglais) 5. Consultez la page sur le site de Mastercard à ce sujet (en anglais)