Au cinéma, l’utilisation d’un fond vert permet d’épater la galerie en intégrant dans une scène des images créées par ordinateur. Les acteurs, jouant devant un écran vert, doivent maîtriser l’art de l’illusion. L’art de faire semblant.

C’est triste à dire, mais le Fonds vert du gouvernement québécois joue à peu près le même rôle : il donne l’impression de faire quelque chose pour lutter contre les changements climatiques. Il fait illusion.

La réalité, c’est que ce Fonds vert n’a pas le courage de ses ambitions. Il manque cruellement de vision et de cohérence. Au point de mettre en péril la transition énergétique du Québec.

Ce n’est pas moi qui le dis, mais Pierre-Olivier Pineau, qui vient de quitter avec fracas le Comité consultatif sur les changements climatiques du Fonds vert. Après deux ans, l’expert en politique énergétique en avait assez de jouer dans ce mauvais film.

Ah, il était bien content, le gouvernement, de pouvoir dire qu’il était conseillé par les plus éminents experts. Bien content d’avoir Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, de « son » bord. Mais maintenant que le professeur a claqué la porte…

Maintenant, on lui jette de la boue. On sème le doute quant à sa probité. Voyez-vous, le prof ne serait pas parti parce qu’il en avait assez de cette mascarade, mais parce qu’il était en conflit d’intérêts. Parce qu’il refusait de se départir de son portefeuille de crédits carbone…

Ça ne tient pas la route. Pierre-Olivier Pineau envisageait de démissionner depuis plus d’un an. Il avait exprimé son exaspération, publiquement, à maintes reprises. Qu’importe : le gouvernement caquiste devait créer un écran de fumée, chuchoter aux chroniqueurs politiques cette affaire de conflit d’intérêts, bref, donner un « spin » à cette embarrassante histoire.

Un peu comme lorsqu’il a révélé avoir été courtisé par le candidat péquiste de Jean-Talon. Ou était-ce l’inverse ? Qui dit vrai, qui ment ? Ça n’a pas d’importance. Ce qui compte, c’est de faire dévier le débat.

En parlant des poches du prof Pineau, on évite de répondre à sa principale critique : le Fonds vert n’est pas efficace. Enfin, pas assez. Il n’agit qu’en surface. Mais il ne remet pas en question notre rapport à la consommation d’énergie. C’est, pourtant, ce qu’il est urgent de faire.

Sur de nombreuses tribunes, ces derniers jours, Pierre-Olivier Pineau a dénoncé un manque de volonté politique, des sommes mal dépensées, une gestion opaque et des actions qui ressemblent dangereusement à de la censure…

Réaction du ministre de l’Environnement, Benoit Charette, en mêlée de presse : « Ce sont les critiques d’un individu qui n’est plus membre du comité aujourd’hui. »

C’est faible. Factuel, peut-être, mais faible.

Pierre-Olivier Pineau n’est pas le seul à critiquer le Fonds vert.

En juin 2022, la commissaire au développement durable, Janique Lambert, avait conclu que ce Fonds n’était pas géré de manière efficiente. Pas moins de 80 % des subventions avaient été versées à des projets dont l’efficacité n’avait pas été démontrée.

Autrement dit, le gouvernement dépensait l’argent des Québécois sans savoir si cela aurait un effet quelconque pour freiner les changements climatiques. Il agissait comme un conseiller financier qui ferait une tonne de placements hasardeux en se contrefichant des rendements.

En 2022, M. Charette avait balayé le rapport de la commissaire d’un revers de main. « C’est une photo qui date du 1er avril 2021, avait dit le ministre. Donc, une photo qui n’est plus à jour aujourd’hui. »

Ce n’était pas fort, ça non plus. D’autant que rien n’a vraiment changé.

En 2018, François Legault, fraîchement élu, avait fustigé le Fonds vert, « géré n’importe comment » par les libéraux. Des subventions avaient été attribuées à des projets incompatibles avec les objectifs du Fonds : un projet d’oléoduc, des ailettes pour des avions, l’électrification d’une réserve de gorilles au Gabon…

Le premier ministre avait promis de faire mieux. Mais voilà, le Fonds vert 2.0 du gouvernement caquiste subventionne toujours, à coup de millions, des entreprises énergivores : un spa de luxe, une compagnie aérienne, des cimenteries, des producteurs de cannabis…

D’accord, les sommes versées serviront à rendre ces entreprises moins polluantes. Mais ces projets ne visent pas spécifiquement à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES). On continue à faire largement comme avant, comme si de rien n’était, comme si la planète n’était pas en train de brûler.

Tout va très bien, madame la marquise…

Le gouvernement n’ose pas demander aux Québécois de faire les sacrifices qui s’imposent pour réduire les émissions de GES, dénonce le prof Pineau. Il n’a pas ce courage-là. Ou alors, quand il le trouve, ça ne dure pas. Le ministre Pierre Fitzgibbon affirme qu’il faut réduire de moitié la taille du parc automobile ? « C’était une image qu’il employait », tempère son collègue Charette sur les ondes de Radio-Canada.

Le ministre de l’Environnement poursuit en ayant recours à cette tactique usée à la corde : diviser pour mieux régner. Il gronde ceux « qui se permettent de juger avec un peu de hauteur […] les gens des régions pour qui l’alternative à la voiture n’est pas toujours envisageable ». Il est « impensable », selon M. Charette, d’imaginer des transports en commun en région comme on les imagine à Québec et à Montréal.

En tant qu’ancienne fille de région, je m’oppose à ce défaitisme. Et aussi à cette tentative d’opposer une fois de plus les prétentieux-des-villes au vrai-monde-des-champs. Après tout, j’ai pris LA bus tous les jours, de Chicoutimi à Jonquière, pendant trois hivers. Ça se pouvait, dans les années 1990. Ça se peut encore. Oui, on peut sûrement faire mieux. Beaucoup mieux. Mais ce n’est pas « impensable ». Un peu d’imagination, que diable. Un peu de courage.