Voici un débat dont Pierre Poilievre n’avait pas besoin.

Le chef conservateur mise sur l’insécurité économique et l’usure du pouvoir des libéraux, et il domine dans les sondages. Au congrès national à Québec à la fin de la semaine, des membres diversifieront toutefois ce menu. Ils soumettront des résolutions pour interdire les interventions médicales transgenres aux mineurs ainsi que pour créer des espaces « non mixtes » excluant les personnes trans et non binaires.

Qu’en pense M. Poilievre ? Il préfère ne pas se prononcer, et cela se comprend.

Avant d’aller plus loin, un détour par les chiffres s’impose.

En 2021, Statistique Canada a posé pour la première fois des questions sur le genre.

Voici le résultat1 :

Ce taux augmente nettement chez les jeunes. Il est cinq fois plus élevé chez les Z que chez les baby-boomers.

Et les adolescents ? En 2019, une enquête canadienne sur la santé des enfants évaluait à 0,4 % la proportion totale de personnes trans ou non binaires chez les 12-17 ans⁠2. C’est moins que les millénariaux et les Z.

Comment expliquer cet écart ? Les chercheurs rappellent qu’à cet âge, le comportement et l’identité des jeunes ne sont pas encore affirmés et assumés. Si cette cohorte ressemble à celle des Y en vieillissant, on peut en conclure que certains adolescents qui ne s’identifient pas encore comme trans ou non binaires le feront plus tard.

La tendance prédominante chez les ados serait donc la sous-évaluation. Soit le contraire d’une masse de jeunes qui s’identifient hâtivement comme trans ou non binaires et qui voudront plus tard revenir en arrière.

L’étude rappelle par ailleurs que les membres de ce petit groupe souffrent davantage de troubles de santé mentale, surtout quand leur entourage ne les soutient pas.

Pourquoi en parle-t-on autant alors ?

Les membres de la communauté LGBTQ+ revendiquent de plus en plus leurs droits. Aux États-Unis, cela a créé un ressac auprès de la droite, et le Canada suit par mimétisme.

Le sujet comble aussi un vide. Depuis la fin de la pandémie, la droite antisystème semble avoir tourné une partie de son énergie vers cette cause. Cette fois, au lieu de crier son amour de la « liberté », on veut la restreindre.

Enfin, on assiste à une escalade. Un exemple : l’expression « personne avec un utérus » pour désigner une femme. Si vous avez subi une hystérectomie, vous jugerez ce terme peu inclusif. Face à une langue qui change vite et de façon contre-intuitive, des gens de bonne foi sont déstabilisés. Si on les accuse d’intolérance, ils se braqueront.

Des politiciens flairent l’occasion. Le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan exigeront que les élèves obtiennent l’approbation d’un parent avant de modifier leur prénom. Ces provinces sont gouvernées par des conservateurs en récente baisse dans les sondages. L’Ontario songe à les imiter. Même chose pour la première ministre sortante du Manitoba.

M. Poilievre est plus prudent. Il a seulement commenté le sujet en réponse aux questions. L’école relève des provinces et ce n’est pas au fédéral de décider, dit-il.

Le problème, c’est que ses militants veulent prohiber les interventions médicales transgenres des mineurs. Si le fédéral ne doit pas s’immiscer dans les compétences provinciales en éducation, ce devrait être la même chose avec la santé. D’autant plus que sur ce sujet, les médecins sont mieux outillés que les élus pour trancher.

Le consentement médical au Québec

Au Québec, la loi encadre déjà le consentement médical des mineurs. À partir de 14 ans, l’accord parental n’est pas requis pour un geste médical comme l’avortement. Le parent doit toutefois donner son avis en cas de « risque sérieux » pouvant avoir des « effets permanents ». Éducaloi donne l’exemple d’une intervention chirurgicale esthétique du nez. La décision doit toutefois être prise en fonction de l’intérêt de l’enfant, et non des valeurs des parents. Les interventions médicales transgenres surviennent au terme d’un long processus de consultations aidant à évaluer l’intérêt de l’enfant.

Consultez le site d’Éducaloi pour en savoir plus

Le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont des appuis. Surtout quand on présente le débat comme portant sur les droits des parents, et non sur ceux des jeunes.

Selon un récent sondage Angus Reid3, les sympathisants conservateurs sont deux fois plus susceptibles que ceux des libéraux (64 % contre 31 %) d’appuyer les restrictions aux droits des minorités sexuelles.

Des experts soutiennent que sous son apparence de gros bon sens, cette politique force des jeunes à sortir du placard et les expose au jugement parental alors que leur santé mentale est fragile. Ils se demandent en outre quel droit un parent réclame. Est-ce celui de rejeter l’identité de genre de son enfant ?

Des conservateurs rétorquent qu’un élève qui change son prénom sort déjà du placard, que cette initiative finirait par être connue et que l’école ne doit pas cacher d’information à la famille.

Certains espaces « non mixtes » susciteront un appui populaire fort. Un exemple : les compétitions sportives où l’inclusion de personnes trans mène à des iniquités. Reste qu’on parle de cas plutôt rares qui pourraient être gérés par les fédérations sportives.

Par nature, le conservateur défend les traditions et le réformisme prudent. Mais parfois, il prend seulement plus de temps pour arriver à la même conclusion que les autres. Par exemple, Pierre Poilievre avait voté contre le mariage gai en 2004, et il est désormais en faveur.

La réduction de la taille de l’État est le dénominateur commun du Parti conservateur du Canada (PCC). Là-dessus, tout le monde s’entend. Sur les sujets moraux, des fissures apparaissent toutefois entre les libertariens, les conservateurs sociaux et les modérés. Plus le parti en parle, plus il se divise.

Et même s’il devait y avoir consensus à l’interne sur les minorités sexuelles, cela ne réglerait pas un autre problème : la friture sur la ligne. Plus on entendra le PCC à ce sujet, moins son message économique résonnera fort. Et moins il ralliera les modérés qui veulent congédier Justin Trudeau sans trop prendre de risque avec son successeur.

Voilà un obstacle inutile pour un parti qui doit commencer à être écœuré de perdre.

Si les conservateurs sociaux se cherchent un authentique problème, ils auraient plus de succès avec les libérations conditionnelles laxistes. Ils protégeraient ainsi les gens vulnérables au lieu de les attaquer.

1. Consultez l’enquête de Statistique Canada 2. Lisez l’enquête sur la santé des jeunes 3. Consultez le sondage Angus Reid (en anglais)