Curieux comme les humeurs citoyennes peuvent changer. En 2015, quand les policiers de Montréal ont porté leurs « pantalons de clown » aux funérailles d’État de Jacques Parizeau, l’émoi était général.

Au point que le gouvernement libéral de Philippe Couillard a rapidement fait adopter une loi pour interdire aux policiers toute modification de l’uniforme pour des raisons syndicales – ou autres.

La semaine dernière, c’est dans une sorte d’indifférence tout aussi générale que la juge Florence Lucas a invalidé cette loi. Ça peut déranger, ça peut même choquer, mais porter des pantalons de camouflage ou des jeans est un moyen syndical légitime de faire valoir son mécontentement.

C’est de la libre expression, en somme.

Il faut dire que le débat syndical sur le régime de pension des policiers est loin derrière. Mais quand on repense aux réactions outrées d’il y a huit ans, le contraste est spectaculaire.

Devant la Cour supérieure, les avocats du Procureur général ont défendu la loi en disant que le port de l’uniforme est un privilège, pas un droit qu’on peut moduler comme on veut. Ils ont aussi avancé des arguments de sécurité publique : l’uniforme des policiers sert à les identifier sans ambiguïté. Ils ont également produit une revue de presse pour prouver la désapprobation populaire, ou disons médiatique, à la suite des funérailles de l’ex-premier ministre.

Il va de soi qu’on n’a pas « le droit » de porter un uniforme de police si l’on n’est pas policier. Mais ça ne veut pas dire qu’il est intouchable en toutes circonstances.

Quant à l’argument de sécurité publique, il ne tient pas la route, dit avec raison la juge.

Il y a au moins 40 ans que les policiers utilisent ce genre de moyens de pression : des jeans au lieu de pantalons officiels, une tuque, une casquette et même un chapeau de cowboy. Le pantalon de camouflage n’est qu’une autre variante. Pour avoir fréquenté quelques cirques, soit dit en passant, j’affirme qu’il est très peu porté par les vrais clowns, même syndiqués.

À part dans une cause obscure, personne n’a jamais prétendu sérieusement qu’on n’était plus capable de reconnaître un policier en moyens de pression à cause de ses pantalons. Il reste encore « le badge, le nom du policier, la chemise réglementaire munie des armoiries de la Ville aux épaules, le ceinturon et ses accessoires ainsi que le gilet pare-balles (qu’il comporte ou non l’inscription ‟POLICE”) », note la juge Lucas.

Oui, mais la dignité ?

Oui, mais la confiance de la population ?

On entre ici dans une zone psychologique intéressante. Les corps de police, en effet, ont l’obligation de maintenir cette confiance pour pouvoir effectuer efficacement leur travail.

La juge observe qu’aux dernières nouvelles, les policiers forment encore un des groupes de la société les plus respectés – sondages à l’appui.

Par ailleurs, les villes ont très souvent tenté de faire déclarer ces moyens de pression vestimentaires illégaux devant la Commission des services essentiels, pour motif d’indignité. Ça n’a jamais fonctionné. D’où la décision d’adopter une loi précisément là-dessus.

Au fait, depuis quand les moyens de pression syndicaux doivent-ils être populaires ? L’idée même des moyens de pression est de déranger.

Or, depuis 1964, les policiers n’ont plus le droit de grève. Que leur reste-t-il pour faire pression légalement ? Des entrevues aux médias, des manifestations, des tracts, etc. Mais 40 ans de tolérance face aux modifications d’uniforme ont créé une sorte de droit acquis. Ou disons plutôt : c’est la preuve que l’autorité policière ne s’est pas effondrée et que l’anarchie n’en a pas résulté.

Ça ne veut pas dire que ce droit sera exercé avec intelligence. Ni même efficacement. Quand les policiers se présentent au travail avec cet accoutrement, ils agacent leur boss. Ils dérangent l’administration municipale. Ils signalent une forme de désordre qui déplaît au citoyen.

Bref, ils se font entendre.

Il y a tout de même une ligne pas si fine entre déranger et emmerder. Cette ligne, les policiers de Montréal l’ont franchie aux funérailles de Jacques Parizeau.

Accepter d’être impopulaire ou désagréable à la population pour faire pression sur l’employeur, c’est la définition même d’un moyen de pression. Manquer de respect dans un moment solennel national, ce n’est plus faire pression, c’est susciter l’indignation du citoyen. L’hostilité, même. Mauvaise tactique. Car à la fin, le boss de l’employeur, c’est l’électeur. Il faut savoir jusqu’où le déranger.

Ah, mais c’est quand même un droit. Un droit fondamental, même, que celui de se tirer dans le pied avec un taser syndical.