Souper familial du dimanche soir, au début des années 1970. Comme dans toutes les familles québécoises, on parle politique. C’est le sujet numéro un. Et de loin. Les Trudeau, Lévesque, Drapeau, Bourgault, Bourassa, Chartrand sont les influenceurs du temps. Ça vole haut. On parle parfois aussi de hockey, mais ça ne dure jamais longtemps, tout le monde est toujours d’accord, le Canadien va gagner la Coupe Stanley.

D’habitude, la dynamique des discussions, chez nous, est la suivante : ma mère émet son opinion, mon père dit le contraire, mon grand frère se range du côté de ma mère, ma grande sœur, la ballerine, lève les yeux au ciel, et moi, je tente de faire une blague, qui, la plupart du temps, ne fait que soulever l’ire des deux parties.

Exemple : ma mère affirme que René Lévesque ferait un bon gouvernement, mon père dit que ça n’arrivera jamais, mon frère pense que le Parti québécois a des chances d’être élu s’il ne fait pas tout de suite la souveraineté, ma sœur bâille, et moi je vole une cigarette à mon père, pour imiter René Lévesque. Puis tout le monde se met à parler en même temps, pendant que ma sœur monte le son de la symphonie de Tchaïkovski qui joue, dans le fond.

Ce soir, ça ne se passe pas comme ça. Ce soir, c’est tellement différent que je m’en souviendrai longtemps.

Ma mère affirme : « Il est vraiment bien, le ministre Castonguay. C’est fantastique, ce qu’il est en train de faire. » Tout le monde se retourne vers mon père… 

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Claude Castonguay, le « père de l’assurance maladie », et son collègue Robert Després, en octobre 1970

Il opine du bonnet : « Oui, c’est vrai. » Mon frère, qui veut devenir médecin, en rajoute : « Il sait de quoi il parle. » Même ma sœur se prononce : « Il était temps que ceux qui ont moins d’argent puissent être bien soignés. » Je ne brise surtout pas le consensus : « La castonguette est tellement belle que ça donne envie d’être malade. » Ça rit. Une famille qui rit est une famille unie.

Ça ne s’est jamais reproduit, une telle unanimité autour du responsable de notre système de santé. Et ça n’a pas duré longtemps. À peine plus longtemps qu’un souper. Quelques mois plus tard, le ministère de la Santé (appelé alors ministère des Affaires sociales) a commencé à être malade. Une maladie chronique qui n’a cessé d’empirer. Les ministres se sont succédé : Forget, Lazure, Johnson, Laurin, Chevrette, Lavoie-Roux, Côté, Robillard, Rochon, Marois, Trudel, Legault, Couillard, Bolduc, Hébert, Barrette et McCann. Ils se sont tous vantés, tour à tour, d’avoir trouvé le remède, d’avoir trouvé la solution. Pourtant, le mammouth n’a jamais cessé de tousser et son mal de s’aggraver. Au tour de Christian Dubé de s’y attaquer. Bonne chance !

Son projet de loi 15 promet d’améliorer l’accès aux soins. Comme toutes les améliorations proposées par ses 17 prédécesseurs. Qui n’ont pas réussi. Je me demande quelle serait la cote à Vegas de cette nouvelle tentative. Ce serait sûrement très très payant. Pour Vegas.

Tentons de trouver d’où vient ce problème insoluble. Revenons à la base. Qu’est-ce qu’un hôpital ? L’hôpital est un hôtel gratis. Tout le monde peut y aller. Il suffit d’être malade. Et des malades, ce n’est pas ça qui manque. S’il y avait pénurie de malades au Québec, notre système de santé serait parfait. Mais comme il y en a plein, il ne répond pas à la demande. On n’a jamais assez de cash pour subvenir à tous les besoins. La santé, ça semble impossible à rentabiliser. Pourtant, il y aurait une façon. C’est traiter le monde de la santé comme le monde du sport. Le monde du sport croule sous l’argent. Les franchises ne cessent de prendre de la valeur. C’est rendu qu’on offre des contrats d’un milliard aux joueurs, tellement ça rapporte aux propriétaires. Pourquoi ? Parce que le monde aime regarder les évènements sportifs. En personne et en virtuel.

Vous savez quoi ? Le monde est aussi friand de la médecine que du sport. La télé diffuse des tonnes d’émissions médicales. Surtout des fictions, mais il y en a aussi plusieurs où l’on suit de vrais cas. Et ça pogne ! Le succès de 24/7 le prouve. Puisque la maladie divertit tant les gens, on devrait en faire un divertissement.

L’erreur que l’on fait, depuis toujours, c’est de penser qu’on ne peut faire payer que les gens malades pour l’accès aux hôpitaux et aux cliniques. Ben non ! Bien des gens en santé serait prêts à débourser, malgré leur bonne condition, pour avoir accès à ces endroits remplis d’émotions.

Ajouter des gradins dans les salles d’examen, de scans, d’accouchement et d’opération. Bâtissez une section pour les bien-portants aux urgences. Donner accès aux hôpitaux, pas juste aux affligés, mais aux fans du corps médical, aussi. En plus des spectateurs sur place, on mettrait des caméras partout, pour nous montrer tout, vraiment 24/7, sur Netflix, Tou.tv, Crave ou Club illico.

Après Star Académie, Star Infirmerie. Les médecins et les infirmières deviendraient des vedettes. On aurait plein de fric pour les payer. Des soignants aux soignés, les gens dans les hôpitaux sont les véritables héros de la société. Montrons-les ! Le monde a soif de héros.

Le ministère de la Santé croulerait tellement sous le cash que c’est lui qui subventionnerait les transports, l’éducation et la culture.

Bien sûr, le ministre Dubé risque d’avoir plus de difficulté à faire passer cette idée que son projet de loi 15. Si ça peut l’encourager.

La véritable meilleure façon de sauver le système de santé réside dans un effort commun de tous les intervenants. Tant qu’ils seront incapables de se faire confiance, ce sera toujours du grand n’importe quoi. Les uns défaisant ce que les autres tentent de faire.

Notre système de santé est un malade dont le médecin ne cesserait de changer de diagnostic et de traitement. Il risque d’en crever. Est-ce que tout le monde peut se serrer les coudes et travailler ensemble, au-delà des préoccupations personnelles ? Nous avons tous un rôle à jouer, même nous qui n’œuvrons pas dans le milieu hospitalier. C’est de rester en santé nous-mêmes et de veiller sur la santé des gens qu’on aime. Ça fera déjà ça de sauvé.