Le contraste est frappant entre la rentrée parlementaire à Québec et celle qui se prépare à Ottawa.

François Legault domine dans les sondages, tandis que Justin Trudeau ne mène dans aucune province. Mais dans les deux cas, le temps les rattrape.

Chez les libéraux, la rouille s’incruste. Même si cette usure n’apparaît pas encore chez les caquistes, leur véhicule a perdu son éclat de « nouveau parti ».

Au fédéral, on se demande ce que fait exactement le gouvernement Trudeau. Il a ralenti. Par exemple, la nomination des juges est pénible et la réflexion sur la crise de logement peine à mener à de nouvelles propositions. Dire que ce gouvernement est en panne serait exagéré – il livre une rude bataille contre le lobby pétrolier et gazier afin de plafonner ses émissions de gaz à effet de serre et décarboner l’électricité. L’ambition semble surtout de survivre en mettant en œuvre des exigences complexes et coûteuses du NPD comme les programmes nationaux pour assurer les soins dentaires et les médicaments.

PHOTO ROSLAN RAHMAN, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Le premier ministre du Canada, Justin Trudeau

À Québec, personne ne se demande ce que fait le gouvernement caquiste. En santé et en éducation, les ministres Dubé et Drainville déstabilisent avec leurs épaisses réformes à l’étude. Leur collègue Geneviève Guilbault veut confier la gestion des grands projets de transport collectif à une agence indépendante. Et en énergie, un virage majeur se prépare avec la révision des tarifs industriels et l’ajout de production requise. Sans oublier la mise à jour triennale des cibles d’immigration. Et tout cela se déroule sur fond de négociations avec le secteur public, avec les syndicats qui ont obtenu des mandats de grève.

Voilà un gouvernement occupé.

Le problème, c’est que malgré toute cette agitation, la population ne voit pas d’amélioration. Les enseignants manquent, l’attente en santé ne se résorbe pas et la crise du logement perdure.

Deux ingrédients du succès caquiste risquent de se diluer.

Le premier, c’est l’attrait de la nouveauté. Beaucoup d’espoirs étaient fondés sur cette jeune coalition. Après avoir été déçu par les libéraux et les péquistes, l’électorat a donné une chance au bleu poudre. Mais le temps passe et les améliorations sur le terrain ne répondent pas aux attentes.

D’anciennes promesses non tenues rattrapent aussi la CAQ, comme le troisième lien et la réforme du mode de scrutin. Même ceux qui saluent ces abandons perdent un peu de confiance dans la parole du gouvernement. Comme si la CAQ devenait à son tour un parti de pouvoir, qui n’est pas si différent des autres.

Le deuxième ingrédient du succès caquiste, c’était l’image de gestionnaires efficaces. La CAQ comptait plusieurs visages connus du milieu des affaires. M. Legault était allergique à la consultationnite. Il promettait de bouger vite, quitte à déplaire. Mais la décentralisation ne s’est pas encore matérialisée en santé ou en éducation.

Avec 37 % d’appui dans les sondages, la CAQ n’est pas en chute, loin de là. Tous les autres partis rêveraient d’une telle position de force. N’empêche qu’il y a une impression de retour à la réalité. L’euphorie des débuts ne reviendra pas.

On l’a souvent écrit, l’opposition à Québec est divisée. Mais elle est aussi éparpillée.

C’est toutefois moins vrai pour le Parti québécois, et c’est ce qui explique sa remontée dans les sondages. Car le PQ reprend le troisième ingrédient du succès caquiste : le nationalisme, dont il est le défenseur historique.

Le PQ a ciblé un électorat précis : le nationaliste qui a donné une chance à la CAQ. C’est simple et c’est clair.

Le chef Paul St-Pierre Plamondon mise sur les ratés ou les déceptions avec la langue, l’immigration et les relations avec le fédéral. Il profite de son approche décomplexée : les péquistes ne se déchirent plus entre eux au sujet de la loi 101 au cégep et du port de signes religieux.

Aux bulletins de nouvelles mardi soir, on voyait M. St-Pierre Plamondon réclamer une commission parlementaire sur les personnes trans. Mais si on écoute bien, il ne faisait que répondre aux questions. Pour ne pas improviser de position à chaud, il a suggéré une réflexion collective. Si on oublie sa référence inutile à la « gauche radicale », le propos était modéré.

C’est plus difficile pour Québec solidaire et pour le Parti libéral. Ces partis n’ont pas respectivement de porte-parole féminine ou de chef permanent. En attendant l’issue de ces courses, la stratégie restera inévitablement imprécise.

Un enjeu de la course au porte-parolat féminin est de savoir qui QS doit courtiser. Les régions ? Les nationalistes modérés ? Ou mobiliser les progressistes déjà sympathiques à la cause ?

Le PLQ semble mêlé. Veut-on rallier les vieux libéraux passés à la CAQ ? En critiquant le nationalisme ou en renouant avec lui ? Veut-on être plus combatif avec le fédéral ou plus accommodant avec les minorités linguistiques ? Priorisera-t-on les dossiers économiques, et si oui, avec quelle vision pour contraster avec l’offensive caquiste dans la filière batterie ?

Contrairement à Justin Trudeau, le coût de la vie est au cœur du discours de M. Legault depuis 2018. Certaines de ses propositions étaient régressives, comme le chèque inutile aux gens gagnant jusqu’à 95 000 $ et la baisse de la taxe scolaire qui profitait proportionnellement davantage aux riches. Mais il a aussi aidé les plus pauvres.

La CAQ est surtout vulnérable pour la crise du logement – seul Québec solidaire en a toujours fait une priorité.

Reste que dans l’ensemble, à Québec, ce n’est pas l’opposition qui égratigne la peinture caquiste. C’est plutôt le temps. Mais il n’avance pas à la même vitesse qu’à Ottawa.