Il vous est sûrement arrivé de marcher dans une ville étrangère et de tomber sur un monument d’un personnage inconnu. En lisant le panneau, vous découvrez qu’il s’agit d’un architecte ou d’un urbaniste qui a marqué la ville dans laquelle vous vous trouvez.

L’architecte paysagiste et designer urbain Claude Cormier est de cette trempe. Par ses formidables conceptions, il a fortement contribué à forger le caractère contemporain de Montréal.

Partout dans la métropole, il a laissé son empreinte. Son immense talent est également observable dans d’autres villes. En ce sens, je dirais même que Claude Cormier a laissé des traces de Montréal ailleurs au pays et dans le monde.

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

L’architecte paysagiste Claude Cormier

L’anneau de la Place Ville Marie, le fameux plafond de boules roses, puis aux couleurs de l’arc-en-ciel, du Village, la fontaine sectionnée du square Dorchester, toutes ces réalisations ont en commun d’interpeller les citoyens. On n’est jamais indifférent devant le travail de Cormier.

Au contraire de certains créateurs qui auréolent leur travail d’un intellectualisme opaque, Cormier a créé des places publiques qui s’adressent d’abord aux émotions des gens. Il savait que ceux qui marcheraient sur, sous ou à côté de ses œuvres ne formeraient pas un même bloc.

Il a fait le pari de méduser les gens et de les séduire. Et il a réussi.

Cette absence de snobisme a fait qu’il a pu exprimer son talent dans des lieux très éclectiques. Ceux qui ont fréquenté le bar Le Business dans les années 1980 et 1990 se souviennent encore de son installation Enchanted Forest, une forêt composée de vrais arbres. À la même époque, l’artiste Zilon (disparu au cours de l’été) a aussi laissé son empreinte dans ce lieu. Quelle époque quand même !

Claude Cormier faisait partie des architectes urbains qui avaient compris qu’il ne fallait pas créer une place publique que l’on plante bonnement dans un paysage, mais que le paysage tout entier se trouve entièrement transformé par sa présence.

Et puis, il y a dans sa démarche ce mystérieux mécanisme qui déclenche une forme de bien-être et de bonheur, ou quelque chose qui ressemble à ça. Pourquoi se sent-on bien devant un aménagement ou un design de Cormier ?

Ce sentiment inexplicable, je l’ai chaque fois que je traverse le rez-de-chaussée du Palais des congrès et que je passe devant sa forêt d’arbres roses, sa couleur de prédilection, intitulée Nature légère.

Des dizaines de milliers de Montréalais et de touristes ont aussi éprouvé ce sentiment de plénitude en déambulant sous les rangées de boules multicolores, de la rue Sainte-Catherine. Après une année de sursis, en 2018, cette installation de Cormier a dû être démontée.

Un an plus tard, la mairesse Valérie Plante disait « s’ennuyer » de la présence de ces boules qui étaient devenues une attraction internationale. La plus belle chose qui pourrait arriver, c’est que la Ville de Montréal, la SDC du Village et des mécènes travaillent ensemble à recréer ce concept unique et spectaculaire.

On va longtemps se souvenir de la réaction que nous avons eue collectivement quand son Anneau géant a été dévoilé après la difficile pandémie. Dieu que nous avions besoin de beauté, de poésie, de grandeur, de folie… Claude Cormier a été celui qui nous a offert tout cela.

On reconnaît le génie des créateurs à leur capacité à « résoudre un problème ». On a l’impression que Claude Cormier a carburé à cela durant toute sa carrière. Plus le défi était de taille, et plus le résultat qui en émanait était spectaculaire.

En juin 2019, je suis allé découvrir l’aménagement qu’il a réalisé au square Dorchester. Cette partie du parc, qui donne sur l’édifice Dominion Square, a été sauvagement mutilée il y a plusieurs années avec la construction de deux entrées menant à un stationnement souterrain. De plus, la fontaine qu’il imaginait risquait d’empiéter sur le débarcadère des autocars de touristes situé à cet endroit.

Vous savez ce que Cormier a fait ? Il a scié sa fontaine en deux. « La magie est apparue ! », m’a-t-il dit. Ces contraintes ont servi son travail, elles ont même procuré une vision à son œuvre. J’ai compris ce jour-là qui était réellement ce créateur et que la notion de liberté d’expression était quelque chose de profondément élastique.

Il faut l’entendre parler de sa démarche quand il a eu l’idée de L’anneau avec son équipe de précieux collaborateurs de CCxA (Sophie Beaudoin, Marc Hallé, Guillaume Paradis, Yannick Roberge). Face à l’aspect archi cubique de l’architecture d’Henry Cobb, il ne s’est pas laissé intimider. Au contraire, il a eu l’idée de ce cercle immense qui étonne et rééquilibre en même temps.

La renommée de Cormier s’est étendue ailleurs. Toronto, qui jouit de de la présence de nombreuses de ses réalisations, était « sa deuxième ville ». Les habitants de la Ville Reine ne pourraient plus vivre sans sa fontaine cerclée de chiens. Quant à son bassin en forme de cœur, il semble promis au statut de symbole emblématique.

En ce sens, on peut dire que grâce à Claude Cormier, l’esprit de Montréal se retrouve aujourd’hui ailleurs, dans d’autres villes.

Un grand artiste est mort. J’espère que nous trouverons un moyen de célébrer sa mémoire et que nous serons en mesure de lui donner un espace dans la ville à la hauteur de son apport.

Dans quelques années, des touristes étrangers s’arrêteront peut-être devant une place publique qui lui sera consacrée. Ils découvriront que cet homme a insufflé une âme à sa ville.