Comment souligner les 10 ans de la charte de la laïcité péquiste ? Voici une suggestion parmi d’autres : noter chaque erreur de cet épisode pour éviter de la répéter dans la délicate réflexion sur les personnes trans et non binaires.

« Les politiciens devraient laisser ces enfants-là tranquilles », a lancé Gabriel Nadeau-Dubois cette semaine, en rappelant avec raison que ces enfants sont huit fois plus susceptibles de mettre fin à leurs jours.

Durant l’étude de la charte de la laïcité, on entendait le même genre de mises en garde. Des politiciens utilisaient les minorités religieuses pour marquer des points partisans. Un discours intolérant était ainsi libéré.

Mais il y a un autre extrême dans lequel ne pas tomber. Car avant la charte péquiste, il y a eu un gouvernement Charest qui se pinçait le nez. Sa réaction ressemblait aussi à quelque chose comme : « Laissez ces gens-là tranquilles. »

On se souvient de la suite. Le débat s’est propagé malgré les libéraux, dans le désordre.

Ce n’est pas la priorité, disait-on à l’époque. Pourtant, un gouvernement peut gérer différents dossiers en même temps. Et à voir comment le dossier a traîné et s’est sali, on aurait finalement épargné du temps en crevant l’abcès.

Vrai, le gouvernement Charest avait lancé la commission Bouchard-Taylor. Il voulait gagner du temps. Mais malgré le sérieux des commissaires, la consultation ressemblait parfois à une thérapie collective qui ne guérissait personne.

Le gouvernement péquiste n’a pas fait mieux. Pour étudier son projet de charte, il a tenu une commission parlementaire ouverte où n’importe qui a pu donner son opinion, y compris la très contournable Communauté des druides.

Parler, c’est bien. Mais écouter, c’est mieux.

Le Parti québécois réclame aujourd’hui une commission parlementaire sur les personnes trans et non binaires. Or, les caméras n’attirent pas toujours les propos intelligents ou mesurés. Pour un élu, la tentation de parler à sa clientèle électorale demeurera irrésistible.

Au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan, des premiers ministres conservateurs en difficulté dans les sondages ont récemment pris une décision populaire : les enfants de 16 ans et moins qui changent de pronom à l’école devront au préalable obtenir le consentement de leurs parents.

Cela contrevient à l’approche québécoise. En 2021, le Conseil québécois LGBT a produit un guide à l’intention des directeurs d’école. Il recommande notamment aussi d’adapter le code vestimentaire et de prévoir des « lieux d’intimité neutres ».

D’autres aspects n’ont toutefois pas été touchés. Une partie de la réflexion reste donc à faire.

Le gouvernement caquiste écarte l’option de la commission parlementaire ou itinérante. Il privilégie un comité scientifique, et c’est tant mieux. Reste à voir qui y siégera, quel ministre en sera responsable, de quoi elle parlera et si elle se contentera de dresser un portrait au lieu de formuler des recommandations.

Depuis 2016 et 2017, l’identité de genre est un motif de discrimination interdit respectivement par le Québec et par le Canada.

Certaines « controverses » ne méritent pas un long débat. Prenons le cas des lectures à la bibliothèque par des drag queens. Aucun parent n’est obligé d’y amener son enfant, et la civilisation y survivra.

Par contre, il arrive que différents droits ou principes légitimes entrent en tension. Par exemple, doit-on favoriser l’inclusion des personnes trans dans une compétition sportive ou l’équité entre les participants ?

L’accommodement raisonnable encourage la recherche d’une solution qui n’impose pas de contrainte excessive. Cette décision doit être prise au cas par cas. Mais parfois, des gestionnaires ne veulent pas de ce pouvoir.

Quant aux interventions médicales trans, le portrait sur le terrain n’est pas tout à fait clair.

Pour un enfant de 13 ans et moins, le parent doit donner son accord. Le tribunal doit aussi valider la démarche en cas d’effets « graves » et « permanents ». À partir de 14 ans, c’est plus compliqué. L’adolescent peut consentir seul à une intervention médicale « requise ». Si elle n’est pas requise et si elle pose des risques graves avec des effets permanents, le parent doit l’approuver⁠1.

Comment interpréter les bloqueurs hormonaux et le changement de sexe ? Offre-t-on un soutien psychosocial adéquat ? Le nombre de demandes augmente-t-il, et y a-t-il des regrets chez ceux qui ont reçu une intervention, ou des souffrances chez ceux qui ont dû attendre trop longtemps ? Outre les médecins, qui devrait intervenir auprès des jeunes : des spécialistes en santé mentale ou des groupes de défense LGBTQ ? Et surtout, comment l’intérêt de l’enfant est-il défendu durant ce processus ?

Autre enjeu, l’intégration du genre dans l’éducation à la sexualité au primaire. Des documents touffus du Ministère existent déjà, y compris pour le préscolaire, où on commence déjà à explorer l’identité de genre⁠2. Mais comment ça se passe dans les classes ?

Que cela plaise ou non, on n’a pas fini d’en entendre parler. Balayer le sujet sous le tapis n’aidera pas à y voir clair.

Environ un Canadien sur 330 se dit trans ou non-binaire. Ces personnes sont peu nombreuses, et pour elles, le débat revêt une charge existentielle. Cela doit toujours être gardé en tête. Avant d’esquisser de grandes théories sociologiques, mettons-nous un peu dans leur peau.

N’empêche que des questions se posent notamment sur les plans médical, juridique et éducatif. Et comme l’a montré le débat sur la laïcité, les tabous, les étiquettes infamantes et les calculs politiques n’aident pas à y répondre.

Faisons-en un motif d’orgueil national. Montrons que le Québec est capable d’y réfléchir plus sereinement que ses voisins.

1. Lisez une analyse de Johanne Clouet, professeure à la faculté de droit de l’Université de Montréal 2. Consultez le document du ministère de l’Éducation