Pour François Legault, la récolte de compliments a été inespérée à New York. Le premier ministre a été qualifié de « héros » de l’environnement, rien de moins, par Al Gore.

Des écologistes ont eu de la difficulté à gérer leurs émotions. Un mauvais jeu de mots, dont je me dissocie à titre préventif, a circulé mercredi : « L’Al-Gore-ithme est déréglé. »

Cet appui n’a pourtant rien d’étonnant. Il s’inscrit dans la tradition des fleurs reçues par le Québec aux sommets climatiques.

En 2010 à Cancún, Jean Charest recevait un prix alors qu’il préparait la ruée vers le gaz de schiste. Une portion d’une forêt de l’Australie-Méridionale avait même été nommée en son honneur.

En 2015 à Paris, Philippe Couillard était encensé par Al Gore pour son travail « fantastique ». Les émissions de gaz à effet de serre (GES) ont augmenté légèrement à la fin de son règne.

En 2020 à Glasgow, François Legault a reçu au nom du Québec un prix « Leadership » pour son rôle dans la tarification du carbone en Amérique.

Cette semaine à New York, l’ex-vice-président des États-Unis et Prix Nobel de la paix a renchéri en louangeant M. Legault. Cette fois, c’était pour sa participation à la coalition Beyond Oil and Gas, formée de 12 pays et États qui renoncent à exploiter leurs énergies fossiles. Y figurent notamment la France, la Suède, le Danemark, le Portugal, l’Irlande et l’État de Washington.

M. Legault revient de loin. En 2015, il déplorait que M. Couillard abandonne le mirage pétrolier dans l’île d’Anticosti, une décision annoncée en marge de la rencontre avec Al Gore. Le chef caquiste qualifiait avec mépris son adversaire de « géant vert ».

M. Legault était alors favorable à l’exploitation du pétrole et du gaz. Sa conversion s’est faite à petits pas. Il a fini par larguer le projet GNL Québec, il a abandonné le tunnel routier Québec-Lévis et il commence timidement à parler d’efficacité énergétique.

Il n’est pas visionnaire. Mais au moins, il n’est plus le cancre. Il a rattrapé son époque et il s’améliore.

Prenons quelques pas de recul pour comprendre la déclaration de M. Gore.

L’accord de Paris sous sa forme actuelle ne suffirait pas à limiter le réchauffement à 1,5 °C, comme le recommandent les climatologues. De plus, cet accord lui-même n’est pas respecté et ceux qui le violent ne sont pas sanctionnés.

Des politiciens se demandent à quoi bon réduire leurs GES si leurs voisins ne le font pas. Cette incapacité de coopérer nous rapproche d’une sixième extinction de masse.

Voilà pourquoi Al Gore vante le marché du carbone du Québec et le groupe Beyond Oil and Gas. Il veut remplacer ce réflexe défensif par un cercle vertueux.

Historiquement, des villes et des provinces comme le Québec et la Californie ont lancé des initiatives qui ont été reprises par leur gouvernement fédéral. M. Gore encourage cette émulation.

Son intervention portait ainsi plus sur la diplomatie climatique internationale que sur nos débats politiques internes.

M. Legault se félicite que le Québec soit l’État qui émet le moins de GES par habitant de l’Amérique du Nord (en excluant le Mexique). Or, tout bilan dépend de la géographie et de la structure industrielle d’un pays.

Pour évaluer un politicien, mieux vaut vérifier ce qu’il fait et ce que ça lui coûte.

Entre 1990 et 2019*, le Québec a réduit ses émissions d’à peine 3 %. M. Legault vise une baisse de 37,5 % d’ici 2030. Un peu plus de la moitié des mesures requises ont été déterminées sur papier. Reste à voir si elles se concrétiseront.

L’Union européenne fait mieux. Les GES y ont décliné de 25 % en 1990-2019. La cible est - 55 % pour 2030, et les efforts actuels permettent déjà de se rendre à - 41 %.

M. Legault se démarque surtout par son souci de profiter économiquement de la transition énergétique en s’assurant que les batteries des véhicules électriques soient produites au Québec.

Libéraux, péquistes et solidaires le critiquent dans d’autres dossiers, comme les transports et la destruction de milieux humides. C’est surtout l’inaction qui lui nuit politiquement.

Au fédéral, c’est le contraire.

Le Canada est assis sur d’énormes ressources pétrolières et gazières. Depuis 1990, ses GES ont bondi de 23 %.

Le ministre de l’Environnement, l’ex-militant Steven Guilbeault, n’est pas un récent converti. Ses projets de réforme sont d’une ampleur sans précédent, et il en paye le prix. Les conservateurs l’accusent de vouloir sacrifier les Prairies et ils menacent de démanteler son travail.

Peu importe ce qu’on pense de MM. Legault et Guilbeault, il y a quelque chose à retenir de la méthode Al Gore.

On ne peut pas toujours taper sur tout le monde. Pour inciter à l’action, il faut aussi saluer les bons coups, même les modestes, et appuyer ceux qui encaissent les baffes en se battant pour un avenir plus respirable.

* J’utilise la période 1990-2019, car la pandémie a tronqué les résultats en 2020 et 2021. Les chiffres sur l’après-pandémie ne sont pas encore disponibles.