Avant d’être reçu en héros à la Chambre des communes, vendredi, Volodymyr Zelensky a rencontré la gouverneure générale du Canada, Mary Simon. Cette dernière lui a appris un mot en inuktitut : ajuinnata (qui se prononce aye-you-i-na-ta).

« Ça veut dire : n’abandonnez pas, a expliqué le président de l’Ukraine aux Communes. Restez debout, envers et contre tous. Ajuinnata, Canada. Ajuinnata, Ukraine. »

Un an et huit mois après le début de l’invasion russe en Ukraine, tout le message du président Zelensky au Canada – et au reste du monde – tient dans ce mot-là. « Pouvons-nous abandonner ? Non. Pouvons-nous permettre que notre identité soit effacée ? Non. »

Il faut tenir bon face à l’agresseur russe, a insisté le président. Il n’y a pas d’autre issue pour l’Ukraine. La survie de notre peuple en dépend. Surtout, ne nous abandonnez pas.

L’air grave dans son éternelle tenue kaki, l’ancien comédien devenu chef d’État en guerre s’est adressé à un public conquis d’avance à Ottawa. La Chambre des communes, bondée, l’a chaudement applaudi à plusieurs reprises.

Il en est reparti avec des promesses de millions et de nouvelles sanctions contre la Russie. Le premier ministre Justin Trudeau, appuyé par tous ses adversaires politiques, lui a dit exactement ce qu’il voulait entendre : « Notre gouvernement va se tenir à vos côtés aussi longtemps qu’il le faudra. »

Un appui sans faille dont on ne peut que se réjouir. Hélas, si on prend un pas de recul, le tableau semble un peu plus sombre. Alors que les percées militaires se font rares sur le terrain, on ne peut pas dire que Volodymyr Zelensky reçoit un accueil aussi triomphal dans toutes les capitales. Ses appuis internationaux s’étiolent peu à peu. C’est inquiétant pour la suite des choses.

« J’ai besoin de munitions, pas d’un taxi ! » La citation serait apocryphe, dit-on, mais qu’importe : elle est passée à l’histoire. Elle a contribué à faire de Volodymyr Zelensky un symbole de résistance et de courage face au régime autoritaire de Vladimir Poutine.

C’était au jour 1 de l’invasion. Les tanks russes roulaient alors en direction de Kyiv. Le président avait catégoriquement refusé d’être exfiltré. Le monde le croyait fini. Il serait exécuté, c’était une question de jours, peut-être d’heures…

PHOTO SERGEI SUPINSKY, AGENCE FRANCE-PRESSE

Pompiers et secouristes dans une zone lourdement endommagée par une frappe russe, dans la région de Kyiv

Au jour 577 de l’invasion, Volodymyr Zelensky est encore là.

Et il a toujours besoin de munitions.

Contre toute attente, l’Ukraine a résisté. Elle a repris de larges pans de territoire envahis par les troupes russes. À mesure que les soldats se sont repliés, le monde a découvert avec horreur l’ampleur des crimes de guerre qu’ils y avaient perpétrés. Des civils abattus, torturés, emprisonnés, convertis de force en bons citoyens russes. Des femmes violées. Des bibliothèques et des musées pillés de fond en comble. Des milliers d’enfants kidnappés, endoctrinés, entraînés à détester leur propre peuple.

Après tout ça, l’Ukraine n’est pas prête à céder un pouce de terrain à la Russie. Elle n’est pas prête à négocier avec un agresseur qui cherche ouvertement à annihiler son identité.

Sa seule chance de survie, c’est de s’armer jusqu’aux dents.

Justin Trudeau a dit espérer que la paix revienne bientôt en Ukraine. Mais pas à n’importe quel prix. « Ça ne peut pas être une fausse paix fondée sur un compromis imposé par l’agresseur, a-t-il admis. Une paix durable doit clairement établir que les frontières doivent être respectées, peu importe la taille de l’armée du voisin. »

Après un an et huit mois, on constate une certaine fatigue par rapport à la guerre en Ukraine, une lassitude à laquelle ses alliés doivent résister, à l’exemple du Canada.

La Pologne, alliée cruciale depuis le début de l’invasion, a par exemple annoncé qu’elle cesserait son aide militaire. Le président Andrzej Duda a comparé l’Ukraine à une personne qui, en se noyant, risque d’entraîner ses sauveurs avec elle.

Aux États-Unis, le soutien s’effrite également, surtout dans les rangs républicains. Certains élus se demandent quand cette guerre finira, si elle finit un jour. Ils se disent que les milliards accordés à l’Ukraine seraient peut-être mieux investis ailleurs. La population commence à le croire : une majorité d’Américains estiment désormais que Washington devrait resserrer les cordons de sa bourse.

Certains pays reprochent à Volodymyr Zelensky son apparent manque de gratitude. On lui donne des milliards et il en demande toujours davantage ! Et puis, il a cette irritante manie de dresser une liste exhaustive de tout ce qui lui manque pour se défendre…

On peut imaginer qu’un président qui compte les morts chaque jour, depuis 577 jours, en vienne à oublier ses bonnes manières. « Lorsque nous demandons au monde de nous soutenir, il s’agit de sauver la vie de millions de personnes, a-t-il plaidé avec émotion aux Communes. Des femmes, des hommes, des enfants, des familles ordinaires, des communautés entières, des villes entières… »

Cela dit, Volodymyr Zelensky a appris sa leçon. Il a exprimé sa reconnaissance à de nombreuses reprises devant les parlementaires canadiens. Il a même tenu à le dire en français : « Je te remercie, Canada. »

On a envie de lui répondre : de rien, vraiment. Ce soutien, ce n’est pas de la charité, c’est un investissement. L’issue de cette guerre aura des répercussions profondes pour le monde. Si on laisse la Russie avaler l’Ukraine, elle ne s’arrêtera pas là. Ailleurs, d’autres dictatures concluront qu’elles ne risquent rien à l’imiter.

L’Ukraine est un rempart qui nous protège d’un monde beaucoup plus sinistre, mais ce rempart ne tiendra qu’avec l’appui inébranlable de ses alliés. Ajuinnata, président Zelensky. Et merci à vous.