Là, c’est moi qui braille, Bernard.

J’avais compris au printemps que la science avait tué le projet de « troisième lien ».

Enfin, quand je dis « la science », pas besoin d’un collisionneur de particules élémentaires pour étudier ça. S’agissait de compter les chars sur le pont Pierre-Laporte.

Une auto, deux autos, trois mille sept cent quatre-vingt-deux autos… Ma foi, on n’a pas vraiment de problème de trafic pour justifier un tunnel de 10 milliards. Arrêtez tout !

« Le nouveau trafic normal d’après la pandémie n’est pas celui qu’on avait auparavant et c’est ce que les études démontrent, avait dit, tout penaud, le ministre Drainville. Et donc les données qui reflètent la réalité démontrent qu’un lien autoroutier ne se justifie pas. »

Comme il avait passionnément défendu ce tunnel et l’inutilité des études six mois plus tôt, il a présenté ses excuses lacrymales.

Affaire classée.

Enfin, pas tout à fait classée, car en juin, le premier ministre Legault a dit que la situation serait réévaluée tous les cinq ans. On entrouvre la porte du futur : si la démographie change, peut-être que le trafic le justifiera.

Logique.

Lundi, la CAQ perd une élection partielle, et tout d’un coup, M. Legault annonce que des consultations auront lieu. Pas des consultations d’experts internationaux ou de faiseurs d’études.

Non, non : consultations de la population.

Pardon madame, vous vous sentez comment, question troisième lien ?

Certains reprochent à la CAQ de faire des virages à 180 degrés dans ce dossier.

Pas moi. C’est très bien de pouvoir changer d’idée en gouvernant. D’abandonner une mauvaise idée ou une idée infaisable. Ça prend du courage, même. Pour autant que ce soit pour de bonnes raisons. Et qu’on s’en explique.

Dans le cas du « troisième lien », on l’a promis sans la moindre donnée, on l’a abandonné quand on a regardé les données, et finalement, on fait croire qu’on peut le ressusciter en « consultant » les gens. Grand retour du « lâchez-moi avec » les études.

« C’est important de consulter la population et ne pas exclure la possibilité d’avoir un troisième lien. Soit un pont, un tunnel, pour les camions », a déclaré le premier ministre.

Il faut même « tout mettre sur la table », dit M. Legault.

Le lendemain, qui voit-on tout sautillant de joie à l’Assemblée nationale ? Le député de Lévis lui-même, Bernard Drainville.

« J’ai toujours cru à un nouveau lien. Toujours. Je crois toujours en un nouveau lien. Maintenant, je ne veux pas qu’on fasse des promesses en l’air. On va écouter les gens et on va voir ce qu’ils ont à nous proposer. »

C’est curieux, « croire » à une infrastructure routière. On peut croire en quelqu’un, on peut croire en Dieu, on peut croire au Québec, on peut croire que le Canadien va gagner la Coupe Stanley : ces choses-là relèvent des convictions intimes. De la foi. Ça ne se discute pas rationnellement.

Mais qu’est-ce que c’est, « croire » à un tunnel ? Depuis « toujours » ?

Le député de Beauce-Nord, Luc Provençal, nous dit même qu’il va proposer sa version de ce troisième lien. Il a déjà commencé à consulter les « gens de son milieu ». Pourquoi pas ?

(Pas pour me vanter, mais une fois, j’ai dessiné une fusée. Si on m’avait consulté, on serait sur Mars depuis longtemps, mais bon.)

Il faudrait être sans-cœur pour ne pas aimer la consultation. C’est touchant comme tout, imaginer le député Drainville au chevet du citoyen, en train de lui prendre le pouls autoroutier.

Mais une fois qu’on s’est incliné devant l’évidence technique ; une fois qu’on a déclaré très officiellement que « le trafic ne justifie pas » une telle dépense ; une fois qu’on a présenté ses excuses ; que peut-on attendre de consultations populaires sur un ouvrage d’ingénierie complexe ?

Je prédis audacieusement que « les gens » de Lévis et des environs, s’ils veulent absolument se faire enfirouaper un deuxième coup en participant à une « consultation », vont être « pour ».

OK… et après ?

On reste avec les mêmes données de 2023, les mêmes études, le même non-sens économique, technologique, écologique, démographique.

Même en envisageant l’affaire sous l’angle le plus bassement calculateur, je ne vois pas comment ça peut même rapporter un vote à la CAQ. Dans la région de Québec, il y a les pro-3e lien, à qui on ne refera pas le coup. Il y a les anti-3e lien (dont les deux derniers maires de Québec), qui avaient été apaisés par le retour de la rationalité au printemps… et qui n’en reviennent pas.

Sans compter le reste du Québec qui observe, un peu éberlué, cette nouvelle manifestation de politique-jambon de catégorie AAA.