De passage à Paris cet été, j’ai séjourné dans un hôtel un peu miteux. C’est seulement en revenant au Québec que ma conjointe m’a appris qu’il y avait des avertissements de punaises dans les commentaires et évaluations des clients sur l’internet. Le cerveau convaincu d’avoir ramené ces voyageurs clandestins dans mon bungalow, j’ai alors commencé à me gratter. Pour avoir côtoyé régulièrement les punaises de lit dans ma jeunesse et exploré un peu leur biologie, la simple perspective d’en avoir une dans ma maison me déstabilise psychologiquement.

Rappelons, en cette fête d’Halloween qui approche, que les punaises de lit et les moustiques sont des vampires qui sucent votre sang pour aller faire du boudin avec leurs enfants. Mais, des deux espèces hématophages, je préfère de loin le moustique parce que lui, au moins, on le voit et on l’entend arriver. Or, vivre avec des punaises, c’est un peu comme dormir sur un lit hérissé de mandibules très difficiles à éradiquer.

Les punaises développent rapidement une résistance aux molécules utilisées pour les combattre. À cette rapide adaptabilité aux poisons, il faut ajouter leur grande résistance à la famine pour comprendre à quel point elles sont des coriaces que vous ne voulez pas affronter. Même après leur extermination, il restera le colossal travail nécessaire pour se débarrasser des impacts psychologiques qui amènent à se gratter sans aucune raison.

Malheureusement, à la faveur des changements climatiques, elles profitent des étés de plus en plus longs et chauds pour prospérer. Si bien que, autrefois associées aux endroits où sévit la précarité, les punaises sont désormais signalées jusque dans les chics magasins Victoria’s Secret de New York. Des punaises de luxe, quoi !

PHOTO MANUEL AUSLOOS, ARCHIVES REUTERS

Un exterminateur traite un appartement contre les punaises de lit à Paris, en France, le 6 octobre dernier.

J’ai donc une grande compassion pour les établissements de Paris qui défraient la chronique à cause des punaises. En France, on signale leur présence dans les transports en commun, des cinémas, des hôpitaux et des universités. Vérité absolue ou enflure médiatique ? Les avis sont partagés. Chose certaine, le dossier est devenu très politique à l’approche des Jeux olympiques. On veut absolument trouver une solution avant que la presse internationale ne vienne rabattre la crête et plumer la fierté du Coq gaulois.

Comme toutes les bestioles qui ont accompagné les pérégrinations de Sapiens, de son territoire asiatique d’origine, la punaise a connu une spectaculaire dispersion dans la biosphère.

Que voulez-vous ? Aux premières heures de leurs balbutiements, les rats, souris, cafards, punaises et autres bestioles ont applaudi les explorateurs, les entreprises coloniales et le projet de mondialisation des cultures et des économies. Ils voyaient dans ces initiatives autant d’occasions de s’imposer aux humains et d’achever leur propre odyssée planétaire. Partout où elle débarque, « qui s’y frotte s’y pique » reste la devise de l’indésirable punaise. Même un écologiste qui plaide pour le caractère important de toutes les vies finit quand même par les trouver un peu répugnantes.

Permettez-moi de vous raconter leurs parades sexuelles pour vous convaincre, un peu plus, de rester loin des punaises. D’un point de vue humain, la reproduction des punaises de lit est une des plus traumatisantes du monde animal. En cause, les mâles, qui ont un appareil reproducteur comparable à une perceuse, n’optent pas pour une façon « normale » de copuler. Ils perforent l’abdomen de la femelle et lui injectent la semence dans le ventre. Ce mode de reproduction porte le nom d’insémination extragénitale traumatique. Dans certains cas, la fréquence des perçages peut transformer une punaise femelle en véritable passoire à la merci des invasions microbiennes.

Comme les spermatozoïdes libérés dans l’abdomen doivent se frayer un chemin vers les ovaires, la grande majorité sera décimée par les cellules immunitaires de la femelle avant de voir un œuf. Pour combler cette énorme perte de soldats, les mâles ont évolué pour produire beaucoup de semence. À titre de comparaison, disent les spécialistes, si on était des punaises, il faudrait produire 30 litres de sperme pour espérer avoir un bébé.

À ce volume, ce ne sont pas des petits pots, mais des chaudières qu’on remettrait aux clients dans les banques de sperme. Remercions donc l’évolution de nous avoir guidés vers la très chaste position du missionnaire.

Je sais que tout ça est un peu dégueulasse, mais êtes-vous capable de prendre une dernière information ? Comme monsieur punaise, qui est en rut, ne distingue plus très bien les mâles des femelles, l’accouplement peut transformer le matelas infesté en une piquerie collective.

Dans beaucoup de cas, disent les spécialistes, les mâles transpercent d’autres mâles et leur injectent de la semence. Les spermatozoïdes du mâle piqueur se mélangeront alors à ceux du receveur. Ce qui veut dire qu’en criblant une femelle, le mâle porteur de cette équipe mixte lui envoie une combinaison de deux semences. Bien malin alors celui qui essaiera de certifier la paternité de la descendance.

Je m’arrête ici, car en vous racontant cette « tragique » destinée des femelles, je voulais simplement rappeler que dans une maison infestée de punaises, il n’y a pas que les propriétaires qui souffrent. Croyez-moi, même si vous pratiquez le sadomasochisme extrême sur un lit grouillant de punaises, les bestioles doivent vous trouver pas mal straight.