On se dirige vers une période d’affrontements, de déceptions et de rationalisation dans le transport collectif au Québec.

La nouvelle est tombée mercredi : le gouvernement Legault n’épongera plus qu’une fraction des déficits des organismes comme l’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) et le Réseau de transport de la Capitale (RTC), à partir de l’an prochain.

Ces transporteurs devront trouver plus de 2 milliards en nouveaux revenus pour boucler leurs budgets des cinq prochaines années, à défaut de quoi ils devront se serrer la ceinture de plusieurs crans1.

Le trou anticipé est gigantesque.

À prévoir : moins de fréquence pour les bus et les métros, et des passagers de plus en plus entassés. Le retour de la « classe sardine » aux heures de pointe.

L’effet indirect, mais très concret : les Québécois auront moins d’incitatifs à abandonner l’automobile comme mode de déplacement principal, puisque l’offre deviendra moins alléchante dans les transports publics.

Comment les sociétés de transport en sont-elles arrivées à une situation financière aussi catastrophique ?

Elles peinent année après année à boucler leurs budgets, depuis des décennies, mais c’est vraiment pendant la pandémie de COVID-19 que leur bilan s’est dégradé. L’achalandage s’est effondré, et avec lui, les revenus.

Québec est venu à la rescousse et a investi plus de 2 milliards pour éponger les déficits pendant cette période difficile, en avertissant toutefois que cette aide exceptionnelle aurait une fin.

Eh bien, la fin est toute proche.

Cela n’est pas une surprise. La ministre des Transports, Geneviève Guilbault, et son équipe travaillent depuis des mois pour pondre un plan de financement récurrent sur cinq ans. Elle l’a répété sur tous les tons : l’industrie du transport collectif devra réduire sa dépendance envers le financement du provincial et diversifier ses sources de revenus.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

La ministre des Transports et de la Mobilité durable du Québec, Geneviève Guilbault

L’objectif de Geneviève Guilbault était connu, mais « l’offre de départ » qu’elle a présentée aux dirigeants des sociétés de transport en début de semaine a été reçue comme une vraie douche froide.

C’est bien en deçà des attentes de l’industrie et de tous les experts du milieu.

Les municipalités craignent de devoir combler une bonne part de ce manque à gagner de 2 milliards. Seulement dans le Grand Montréal, cela représente plus de 1 milliard sur cinq ans.

Il n’y aura pas de miracle à la clé.

Vous l’aurez compris : la position de Québec et celle des villes (qui pilotent les sociétés de transport) sont aux antipodes.

Le gouvernement Legault fait valoir que le transport collectif est d’abord une responsabilité municipale, et que l’achalandage dans les bus et le métro est seulement à 80 % de ce qu’il était avant la pandémie. « L’offre de service » devrait être adaptée en conséquence, donc pas trop rehaussée, avance-t-on.

Québec estime aussi que des économies de plusieurs centaines de millions pourraient être faites dans les budgets des sociétés de transport. Par exemple : en réduisant le parc d’autobus excédentaires et en diminuant le nombre de cadres, qui a (étrangement) augmenté pendant la pandémie.

Dans les sociétés de transport, mes sources concèdent qu’il y a encore des « optimisations » à faire et des économies à trouver. Mais jamais à la hauteur de ce que réclame Québec.

Si la proposition de la ministre Guilbault reste inchangée, la Société de transport de Montréal pourrait devoir réduire son service d’environ 15 %, ce qui le ramènerait au même niveau… qu’en 2006.

Ouch.

Je peux très bien comprendre le gouvernement Legault de demander un assainissement dans les budgets des transporteurs. Ceux-ci n’ont pas toujours brillé par leur frugalité ces dernières années et certaines dépenses ont marqué les esprits.

Cette exigence de rigueur financière est légitime. Après tout, Québec paie une bonne part des dépenses d’exploitation, et la quasi-totalité des dépenses d’immobilisation des grands projets, comme le prolongement de la ligne bleue.

En même temps, le débat actuel révèle aussi les failles, et sans doute la vétusté, du modèle québécois de financement des transports en commun. Il mérite d’être revu, et pas seulement dans une optique platement comptable.

Ce secteur ne peut pas être considéré comme un poste de dépenses ordinaire.

Le gouvernement Legault s’est doté de cibles ambitieuses en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de fréquentation des transports publics. Ce n’est certainement pas en réduisant l’offre de service qu’on pourra collectivement atteindre les objectifs écolos que Québec a lui-même fixés.

Une chose est claire : l’automne sera riche en rebondissements dans le secteur des transports au Québec.

Le « troisième lien » autoroutier a été ressuscité d’entre les morts par François Legault, juste à temps pour l’Halloween. Les destinées du tramway de Québec et du « REM de l’Est » semblent plus incertaines que jamais.

Il faudra aussi voir quelle place occupera la Caisse de dépôt dans le développement futur des transports en commun, elle qui étudie une extension de son Réseau express métropolitain (REM) à Longueuil, sur la Rive-Sud.

Grincements garantis, issue incertaine.

1. Lisez « Transport collectif : Québec prévoit éponger 20 % du déficit, les villes s’inquiètent »