Un nouvel album des Rolling Stones, quand même. Cinquante-neuf ans et six mois après le premier. C’est un exploit en soi. À 21 ans, ils chantaient Time Is On My Side, ils avaient raison, le temps n’a jamais cessé d’être de leur bord. Six décennies plus tard, il l’est encore.

Ce serait facile de se moquer de ces p’tits vieux. De les appeler les Rolling Chairs. De les trouver dépassés. De les prier de se retirer. Ce serait facile et un peu con. Parce que non seulement ils sont encore là, mais ils sont encore bons. Ils n’ont jamais cessé d’être ce qu’ils sont : les Rolling Stones. Le meilleur band de garage de l’histoire.

Avant d’aller plus loin, mettons cartes sur table. Ma religion, c’est les Beatles. Les Beatles, c’est ce qui est arrivé de plus grand, de plus beau, de plus fort, de plus doux, de plus important, de plus innovateur dans la musique, depuis Stravinski. Les Stones, pour moi, c’est autre chose. Les Stones, c’est les Stones. Des rockers purs et durs. Des riffs et des rimes bien ficelés. Dans leur domaine, ce sont les rois. Pas besoin de les comparer aux quatre Liverpuldiens, on l’a déjà fait.

Beatles, Rolling Stones, c’est bon pop, bad pop. Les bons garçons et les bad boys. Le groupe qui a rapidement pris le chemin du studio, le groupe qui n’a jamais quitté la route. L’un chante Let It Be, l’autre chante Let It Bleed. Tout les sépare, tout les unit. Des Britanniques qui se sont approprié l’Amérique de Chuck Berry et sa gang, pour amener le rock ailleurs. Pour l’amener chez eux. Dans leur pays vert et gris. Les Beatles ont poli le rock pour en faire un diamant. Les Stones l’ont gardé brut. Salissant. Vivant. Après, vous écoutez le groupe que vous voulez. Moi, j’écoute les deux.

Ce que les Beatles pourront toujours envier aux Rolling Stones, c’est de ne s’être jamais séparés. Ils se sont choisis en 1962. Mick et Keith, pour la vie. Brian Jones, pour la mort. Charlie Watts a gardé le rythme, durant près de 60 ans, avant d’aller faire son solo au ciel.

Bill Wyman a roulé sa bosse avec eux, durant une longue secousse. Et Ron Wood est là, depuis 50 ans. Faut le faire de ne pas se défaire. Les leaders, Jagger et Richards, ont compris qu’ils ne seront jamais plus merveilleux que lorsqu’ils sont deux… trois… quatre avec Watts.

Ça prend une grande sagesse et une grande humilité pour réaliser qu’aussi génial que l’on soit, on est meilleur quand l’autre est avec soi. La plupart des groupes éclatent parce que, gonflé par les succès, l’ego de chacun des membres passe pus dans’ porte. Les Stones ont su diminuer leur ego ou agrandir la porte. C’est selon.

Quoi qu’il en soit, c’est beau de voir Mick, Keith et Ronnie toujours unis. Et toujours bien en vie. Après tout ce temps, après tout ce sexe, toute cette drogue, tout ce rock’n’roll, de rebondir encore, ça donne espoir. Au-delà de leur musique, leur seule présence est un hymne à la joie. Pendant qu’on s’obstine à savoir s’il est mieux pour la santé de boire quatre verres de vin par semaine ou un par jour, ou pas de vin pantoute, Mick Jagger et ses deux amis, qui ont abusé de tout ce dont on peut abuser, donnent des spectacles de trois heures, à 80 ans passés.

Ce qui garde en santé, c’est s’amuser.

C’est faire ce que l’on aime.

Et le nouvel album, lui ? Réussi ! Hackney Diamonds recèle des chansons qui ne rougiront pas de côtoyer Miss You, It’s Only Rock’n’Roll, Start Me Up et Under My Thumb. Pas d’immortelles comme Sympathy for the Devil, You Can’t Always Get What You Want ou Satisfaction, mais ça, c’est beaucoup demander. On n’a peut-être pas tout ce que l’on voulait, mais on a tout ce dont on a besoin. Du Stones qualité trois A. Même quatre, puisque Watts était encore là, lors de l’enregistrement.

Si le premier extrait, Angry, nous avait déjà convaincu de l’étonnante vitalité du groupe, le reste de l’album confirme que les boys ont encore de la mine dans le crayon.

Sweet Sounds of Heaven, chanté en duo avec Lady Gaga, est un futur classique que, du paradis, Lady Tina doit déjà fredonner. Plusieurs titres qui sauront se défendre, en spectacle, à côté de leurs must : Get Close, Dreamy Skies, Bite My Head Off, Depending on You… Pas de remplissage. Douze titres rendus à maturité.

Lors de l’inégal concert virtuel, réunissant les plus grandes stars de la planète, présenté durant le confinement, en avril 2020, le bout le plus réjouissant fut de voir les Stones chanter ensemble-pas-ensemble You Can’t Always Get What You Want, chacun de sa maison. Leur complicité, malgré la distance, était si grande qu’il était évident que rien au monde ne saurait les séparer. À part la mort qui a emporté Charlie.

Il y a beaucoup de ça, à l’écoute de Hackney Diamonds, le réconfortant sentiment, la très grande chance d’être toujours ensemble, d’être toujours vivants, après tout ce temps.

Vive les Rolling Stones !

Vive les pierres qui roulent encore !