Le simple fait que des gens écoutent le Parti québécois (PQ) quand il dévoile son budget de l’an 1 devrait le réjouir. Il n’y a pas si longtemps, la conférence de presse aurait fini en brève.

Mais ce qui serait encore mieux pour le PQ, c’est qu’on passe à autre chose dans quelques jours. Car les budgets de l’après-souveraineté n’ont jamais joué en sa faveur.

Son chef Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) y voit un argumentaire pour faire l’indépendance. Ses calculs demeurent toutefois très hypothétiques. On ignore en quelle année se ferait l’indépendance ou quel serait le contexte économique. Et surtout, on ne sait pas ce qui se passerait avec le fédéral. La Cour suprême a statué qu’en cas de victoire du Oui, Ottawa devrait négocier. Mais personne ne peut prédire l’issue de ces pourparlers, par exemple, sur le partage de la dette.

Pauline Marois a déjà dit que l’indépendance serait suivie par des « turbulences » économiques, avant de se raviser pour parler plutôt d’« effervescence ». PSPP prend l’exemple de la Slovaquie pour laisser miroiter des retombées.

Le cas du Brexit illustre toutefois les inconvénients monétaires. Certes, toute comparaison est imparfaite. Mais au minimum, cet exemple montre le risque pour le PQ de passer trop de temps sur les finances.

Alors que le PQ compte quatre députés, tout cela relève au mieux de la conjecture. Cela dit, on aurait tort de lui reprocher de mener cet exercice.

Quand les péquistes ne parlent pas de leur option, leurs partisans les accusent de manquer de courage, et leurs adversaires y voient plutôt une cachotterie. Mais quand ils la défendent, on leur demande de s’occuper des enjeux concrets comme la santé et l’éducation. Ces deux critiques ne peuvent pas être justes en même temps…

Le budget de l’an 1 ressemble plus à un passage obligé.

Rares sont ceux qui voudraient faire l’indépendance pour leur compte en banque. C’est d’abord une affaire de cœur. On rêve d’un pays parce qu’on se sent profondément différent comme Québécois. Parce qu’on a l’impression que son peuple n’est pas libre.

Le plus souvent, l’économie agit plutôt comme un frein. En 1980 et en 1995, des indépendantistes hésitaient à aller au bout de leurs convictions, de crainte de perdre de l’argent.

Au-delà des chiffres, le budget de l’an 1 sert simplement à leur envoyer ce message : n’ayez pas peur, ce serait faisable.

Lors de la campagne électorale de 1973, à la demande de René Lévesque, Jacques Parizeau présentait le tout premier budget de l’an 1. C’était un « outil pédagogique pour banaliser la peur de l’inconnu », résume Pierre Godin dans sa biographie de M. Lévesque.

M. Parizeau n’avait pas aimé l’exercice. Au lieu d’attaquer le bilan du gouvernement libéral, il devait défendre un document qui reposait sur des hypothèses invérifiables, seul contre trois adversaires.

Mais pour l’instant, l’enjeu est ailleurs. Ce n’est pas de savoir si l’indépendance est faisable. C’est plutôt de savoir si elle est souhaitable.

Sur la faisabilité, le débat est clos depuis longtemps. « Personne ne remet en question la capacité du Québec financièrement [de se séparer] », déclarait Jean Charest en interview à TV5 en 2005. Philippe Couillard répétait essentiellement la même chose en 2014.

Aujourd’hui, les libéraux sont heureux du retour du sujet qui a assuré leurs beaux jours politiques. Sauf qu’un autre chef fédéraliste est là. Il se nomme François Legault et il reprend leurs succès souvenirs sur les risques de pertes d’emplois, de revenus.

Au PQ, on se délecte de voir M. Legault contredire de façon aussi frontale le cœur de son ancien engagement politique. PSPP se plaît à rappeler qu’il a repris la méthodologie utilisée par M. Legault dans son budget de l’an 1, en 2005 – une méthode qui elle-même reprenait la logique des travaux de la commission Bélanger-Campeau (1991).

Le PQ compare M. Legault à Jean Charest, en sachant que cela l’enrage. Mais même s’il croit avoir raison sur le fond, ce qui compte, c’est de savoir quelle option sera préférée par les électeurs. Et quand M. Legault lit les sondages, il se sent en terrain très confortable.

Au dernier congrès du PQ, PSPP avait annoncé son plan en quatre étapes : déposer un budget de l’an 1, proposer une politique d’immigration distincte de celle du Canada, déposer un document répondant aux questions sur le projet de pays et définir la citoyenneté québécoise.

La plus importante étape, et de loin, est la troisième. Elle s’inspire du référendum écossais, vu comme un modèle de clarté et de transparence. Le camp du Oui avait publié un rapport complet.

PSPP souhaite lui aussi répondre à des questions pratiques, comme le sort des agriculteurs dans un Québec souverain. Bref, à parler du pourquoi et du comment, et non du combien.

Ce travail fastidieux devrait aboutir d’ici la fin de 2025. Il devrait ensuite occuper une place importante en campagne.

Lors de sa course à la direction, PSPP s’est engagé à proposer une consultation sur l’indépendance, et ce, dans un premier mandat.

Le budget de l’an 1 n’est pas la meilleure stratégie électorale du PQ, comme le prouvent les trois reports du document, qui était initialement prévu pour 2022. Mais pour la suite, PSPP est engagé sur une voie déjà tracée. Qu’on soit d’accord ou non, voilà une démarche cohérente. Il est prêt à payer le prix de ses convictions.