La ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration, Christine Fréchette, a présenté les seuils et les conditions d’immigration déterminés par le gouvernement du Québec pour la prochaine année, et les milieux d’affaires, qui espéraient un chiffre de 60 000 et plus, ne sont pas très contents.

À Ottawa aussi, le seuil de 500 000 immigrants de Marc Miller déchaîne des passions. Une bonne partie de l’Anglophonie canadienne, d’habitude bien discrète sur ce sujet, trouve désormais ce chiffre trop ambitieux par rapport aux capacités d’accueil du Canada que Justin Trudeau semble vouloir basculer plus rapidement dans le postnationalisme.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Marc Miller, ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté

Pourquoi, se demandent les sceptiques, opter pour un si gros flux migratoire quand la crise du logement sévit si durement d’un océan à l’autre ? Pour répondre à cette question, le ministre Marc Miller ne manque pas de contorsions intellectuelles. Si Trump voulait faire payer les Mexicains pour son mur, Miller raconte que les nouveaux arrivants aideront à régler la crise du logement, pendant que les esprits médiatiques s’enflamment.

L’immigration est un dossier hautement émotif qui porte des composantes économiques, politiques, identitaires, religieuses, sociologiques, raciales et plus encore. Pas surprenant alors que partout dans le monde occidental, elle soit devenue un incontournable sujet des plateformes électorales.

Partout, les discours se radicalisent et des mouvements réfractaires aux flux migratoires paradent pour réclamer aux politiciens une fermeture du robinet. Des propositions bien plus faciles à dire qu’à faire, car lorsque vient le temps de déterminer les seuils d’immigration, les politiciens ont rarement le dernier mot. Ils discourent pour mystifier l’électorat, mais ce sont les milieux économiques qui détiennent véritablement la balance de ce pouvoir.

Or, dans le système capitaliste, la grande majorité de ces gens d’affaires n’a rien à cirer des identités, nationalismes et autres projets politiques d’intégration et de cohésion sociale qui interpellent émotivement les populations. Ce qui intéresse cette grande industrie transfrontalière, c’est une main-d’œuvre abondante et bon marché qui avance de préférence en vagues dispersées.

Plus le tissu social est fragmenté et incapable de se rassembler autour de revendications communes, plus ces employeurs se frottent les mains.

Cela dit, cette volonté des milieux d’affaires a le mérite d’être sans ambiguïté alors que, chez les politiciens qui parlent d’immigration, il y a très souvent un décalage entre les intentions déclarées et les objectifs cachés. Il faut donc analyser leur discours sur l’immigration au-delà de l’épais enrobage de bons sentiments qui le recouvre.

Par exemple, à Ottawa, on raconte ouvrir les vannes pour attirer du talent, combler la pénurie de main-d’œuvre, assurer la prospérité économique du Canada et aider à la réunification des familles, etc. Mais si les libéraux de Justin Trudeau ambitionnent autant sur les cibles d’immigration, c’est aussi parce que les immigrants sont traditionnellement plus favorables à leurs propositions politiques. Pour eux, faire entrer 500 000 immigrants est aussi une façon de semer en espérant récolter des gains électoraux plus tard.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Christine Fréchette, ministre de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration

Cette vision électoraliste de l’immigration a été aussi largement au centre des politiques de division du Parti libéral du Québec sous le règne de Philippe Couillard. La Coalition avenir Québec de la ministre Fréchette aussi instrumentalise l’immigration au service du pouvoir. La regrettable déclaration du ministre Jean Boulet pendant la dernière campagne électorale et les dérapages réguliers de François Legault sur le sujet en sont la preuve.

Heureusement, depuis le début de son deuxième mandat, le ton de François Legault s’est adouci et ses bourdes se font plus rares sur ce sujet très clivant.

À cause de sa charge émotive, l’immigration est un sujet de prédilection des adeptes de la wedge politics (politique de la division) utilisée par toutes les formations. On a d’ailleurs vu les élus du Parti conservateur du Canada, bien conscients de ce fait, éviter de tomber dans le piège en contournant les journalistes qui leur demandaient de commenter les cibles d’immigration de Justin Trudeau.

Ils savent que garder le cap sur 500 000 immigrants est aussi un appât qu’agitent les libéraux en espérant les voir mordre à l’hameçon. En effet, la moindre critique sur cet énorme chiffre sera présentée comme une preuve d’intolérance et dégainée en campagne électorale pour définir Pierre Poilievre comme un anti-immigration.

Le retour à un haut taux de natalité n’étant pas une option dans nos démocraties libérales, il faudra trouver des voies de passage, car la mondialisation des économies et des cultures est une grosse machine qui est incapable de reculer. Cette coexistence harmonieuse ne peut se faire sans parler d’intégration, de capacité d’accueil, et de valeurs communes d’égalité et de respect des droits de tous, y compris les femmes et les minorités sexuelles.

Pour ce qui est de ce rêve d’homogénéité culturelle qui traverse encore certaines sociétés, permettez-moi de suggérer ironiquement ces quelques pistes de solution qui peuvent aider à y accéder. On peut peut-être y arriver en repoussant l’âge de la retraite à 77 ans comme le proposent certains politiciens japonais, un pays qui résiste encore à l’immigration.

L’autre solution plus à la portée de tous est d’opter pour la décroissance économique et de renoncer à une partie du confort et des privilèges qui rendent nos démocraties libérales si attrayantes. Entre robotiser la production, décroître économiquement, faire travailler les aînés à temps plein ou s’ouvrir à l’immigration, il faudra choisir.