Fermez les yeux et faites un petit effort d’imagination.

(Assurez-vous bien sûr de ne pas lire cette chronique en marchant sur le trottoir.)

Imaginez Valérie Plante faisant l’acquisition d’un Hummer.

Imaginez Gabriel Nadeau-Dubois expliquant pourquoi il a jugé bon de s’ouvrir un compte bancaire aux îles Caïmans, un paradis fiscal.

Imaginez Steven Guilbeault expliquant pourquoi il a autorisé le forage d’un milliard de barils de pétrole au large de Terre-Neuve… Oups, nul besoin de faire un effort d’imagination ici, l’ex-militant de Greenpeace et actuel ministre fédéral de l’Environnement l’a fait.

Pourquoi mes exemples fictifs de Mme Plante et de M. Nadeau-Dubois choqueraient-ils ?

Pas parce qu’il s’agit de scénarios illégaux, non.

Valérie Plante pourrait acheter un Hummer, c’est légal.

Gabriel Nadeau-Dubois pourrait tenter de faire de l’optimisation fiscale, c’est (souvent) légal.

Mais ce serait immoral, au vu de ce que ces deux personnages publics défendent.

Mme Plante est la mairesse de la transition écologique : au volant d’un Hummer, elle perdrait toute crédibilité. Ce serait d’une contradiction absolument risible.

M. Nadeau-Dubois milite pour l’équité fiscale, il propose de taxer davantage les riches : en envoyant son fric se faire bronzer dans un paradis fiscal, le député solidaire se ridiculiserait.

Ce qui m’amène à Mme Dominique Ollivier, présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal.

Mme Ollivier est la numéro deux de la mairesse Valérie Plante. Dans les faits, elle est la ministre des Finances de la Ville de Montréal.

Dominique Ollivier est donc la gardienne des fonds publics montréalais. C’est elle qui a dû justifier cette décision bizarre de verser un boni à retardement (6 millions de dollars) aux cadres de la Ville. C’est elle qui a expliqué il y a un mois la cure minceur (de 100 millions de dollars) que s’imposait la Ville de Montréal.

Cette cure minceur s’imposait à cause de dépenses à la hausse et de revenus à la baisse : « Devant ce constat, a dit Mme Ollivier, on a dû faire les choix qui s’imposent pour préserver notre marge de manœuvre financière et continuer de protéger le portefeuille des Montréalais. »

Après avoir lu l’enquête1 du Journal de Montréal sur l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM), on peut légitimement se dire que Mme Ollivier se fichait pas mal du portefeuille des Montréalais quand elle était présidente de cet organisme qui consulte les citoyens sur de grands enjeux.

Je résume l’enquête d’Annabelle Blais et de Dominique Cambron-Goulet : l’OCPM – organisme indépendant de la Ville mais financé à 100 % par la Ville – était également une sorte de club de voyage gratis pour ses apparatchiks, quand Mme Ollivier en était la présidente.

Espagne, Mexique, Brésil, Angleterre, Tunisie, Maroc, Australie, Suisse, Côte d’Ivoire et même Mozambique : il n’y avait pas dans le monde un colloque, une conférence, un symposium, un congrès, un podcast ni même un cocktail dînatoire sur la « démocratie participative » qui était indigne de la présence-en-présentiel d’un(e) éminent(e) membre de l’OCPM, quand Mme Ollivier en était la présidente.

La lecture de l’enquête du JdeM est choquante. D’abord, l’orgie de déplacements à même les fonds publics fait lever les sourcils. Ensuite, il y a le manque de reddition de comptes : les remboursements de dépenses sans pièces justificatives étaient monnaie (la pognez-vous ?) courante.

Des apparatchiks faisaient par exemple des escales payées par les contribuables à Londres ou à Rio sous des prétextes que je vais poliment qualifier de… « fallacieux ».

Après son passage à l’Office de consultation publique de Montréal, Mme Ollivier a atterri à Projet Montréal : elle a été élue conseillère de ville pour le Vieux-Rosemont, en 2021. La mairesse Valérie Plante en a fait sa « ministre des Finances » en nommant la recrue présidente du comité exécutif.

Si Mme Ollivier avait été nommée responsable du développement économique, des sports et loisirs ou alors des grands parcs, cette saga de gloutons-planqués des Air Miles sur le bras du contribuable alors qu’elle était à l’OCPM ne constituerait au plus qu’un gênant œil au beurre noir politique appelé à être oublié dans une semaine.

Mais Dominique Ollivier est la gardienne du portefeuille des contribuables de Montréal. Elle ne peut pas se faire pincer, même à rebours, dans une histoire de voyages éhontés sur le bras du contribuable dont elle protège aujourd’hui le portefeuille. C’est contradictoire.

Qu’elle se fasse pogner dans un scandale de voyages hautement discutables (Good morning Mozambique !) à même les fonds publics, c’est comme si Valérie Plante achetait un Hummer, c’est comme si GND avait un compte bancaire aux îles Caïmans…

Pas illégal, non. Mais sacrément immoral !

Et là, quel timing, dans une semaine, Dominique Ollivier va présenter son budget.

Euh…

Quelle crédibilité aura-t-elle, quand elle justifiera telle ou telle décision ? Hausse de taxes, réductions de services ? Gel de dépenses ?

Aucune.

Un mot, en terminant, sur la patronne de Mme Ollivier. La mairesse Valérie Plante a demandé à la vérificatrice générale d’enquêter sur les pratiques de l’OCPM. Fort bien…

Mais je recule la cassette de l’Histoire de quelques années. Je fais un effort d’imagination. Comme moi, fermez les yeux…

Valérie Plante est cheffe de l’opposition. Et on apprend dans le JdeM que le numéro deux de Denis Coderre a été mêlé, à rebours, à une affaire de dépense discutable des fonds publics…

J’imagine à quel point Mme Plante, cheffe de l’opposition, aurait été indignée.

J’imagine le buffet d’adjectifs qualificatifs déplaisants dont elle aurait couvert Denis Coderre.

J’imagine la danse du bacon outrée à laquelle elle aurait convié les journalistes sur les marches de l’hôtel de ville de Montréal…

Mme Plante, cheffe de l’opposition, aurait exigé une démission, c’est sûr. Elle n’aurait pas demandé une enquête de la VG.

Ouvrons les yeux, l’effort d’imagination est terminé, retour à novembre 2023 : je veux juste signaler que Valérie Plante, mairesse, n’a pas à exiger la démission de Mme Ollivier.

Elle peut simplement la congédier pour cause de flagrant délit de conduite d’un Hummer éthique.

Mme Plante ne la congédiera sans doute pas, au nom de cette vieille règle non écrite de la politique : les bourdes de votre équipe sont toujours moins inacceptables que celles de l’équipe adverse.

1. Lisez « Les dirigeants de l’OCPM ont multiplié les dépenses douteuses aux quatre coins du monde »