Alors qu’elle cherchait à se faire élire dans Taschereau, en 2018, Catherine Dorion tenait apparemment mordicus à tourner une vidéo dans laquelle on l’aurait vue détruire à coups de pelle un mannequin à l’effigie de Justin Trudeau.

L’anecdote ne se trouve nulle part dans l’essai de l’ex-députée solidaire, Les têtes brûlées, qui sort avec fracas en librairie, ces jours-ci. C’est plutôt son ancien coordonnateur de campagne, Louis-Philippe Boulianne, qui l’a racontée sur les réseaux sociaux. Il soutient avoir réussi à dissuader la candidate de massacrer le premier ministre du Canada à l’aide d’un outil plus généralement consacré au jardinage. Même si ça n’avait été que pour le show, admettons que ça aurait fait désordre.

Cela dit, avec le recul, ça n’aurait pas été très étonnant. On le sait, Catherine Dorion carbure aux coups d’éclat. Pour elle, cette vidéo n’aurait été qu’une sorte de répétition générale avant son entrée remarquée sur la scène politique québécoise.

Dans son livre, elle explique que c’est sa démarche artistique qui l’a menée à la politique. Ce changement de carrière n’a pas dû être trop déstabilisant pour la comédienne, puisqu’elle se plaint d’avoir participé à un gros spectacle pendant ses quatre pénibles années à l’Assemblée nationale.

Un spectacle pourri, précise-t-elle à très gros traits.

D’abord, il y a les acteurs : les députés. Chacun d’eux joue, selon Catherine Dorion, « un rôle de tribun zombie, effacé, scripté, impropre à faire l’histoire, que cent autres députés jouent déjà ». Pire, ces mauvais comédiens forment une « clique de lustrés qui font semblant de se battre pour la veuve et l’orphelin, mais qui en général ne font que s’appliquer à tisser leurs réseaux entre puissants ».

Ensuite, il y a les metteurs en scène : les médias, que les députés doivent « flatter dans le sens du poil pour avoir des bons rôles », écrit-elle. Tous ces journaleux sans scrupules ne scénarisent que des contenus clivants, émotifs, démagogiques et sensationnalistes. Faut que ça clique. C’est leur seul critère pour vendre leurs pubs de pick-up.

Enfin, il y a la scène : l’Assemblée nationale, où se tient « un spectacle prévisible et soporifique qui ne semble plus avoir d’autre fonction que d’engourdir l’esprit public ». Le Parlement n’est pour Catherine Dorion qu’un « pauvre théâtre politique moisi » où la lumière n’entre pas.

Cynique, vous dites ? Pas qu’un peu. Cynique, sans nuance et terriblement méprisant.

J’aurais voulu aimer Catherine Dorion.

Son premier discours à l’Assemblée nationale, le 6 décembre 2018, m’a marquée. J’ai écouté cette nouvelle députée parler de solitude, du temps pris en otage, de cette injonction de travailler toujours plus, toujours plus à la course. « On n’est pas contre l’argent, disait-elle, mais de l’argent pour quoi, si on n’a plus le temps de s’aimer ? »

J’ai trouvé ça beau. Catherine Dorion sortait du moule. Éloquente, subversive, elle était appelée à devenir notre nouvelle députée-poète. J’aurais voulu l’aimer, comme j’ai aimé Françoise David, comme j’aime Manon Massé.

Mais je dois avouer que ses quatre ans à l’Assemblée nationale ne m’ont pas rendu la tâche facile. Et encore moins les 374 pages de son brûlot. Comme bien d’autres, j’émerge de cette lecture en me demandant plus que jamais ce qui motive l’engagement politique de Catherine Dorion, à part sa propre cause.

Je l’ai défendue en chronique – juste pour les clics, bien sûr – lors du « scandale » du déguisement d’Halloween au Salon rouge et du coton ouaté au Salon bleu.

J’ai voulu comprendre son point de vue. « Je trouvais ça drôle et intelligent de démontrer par une photo, le jour de l’Halloween, à quel point, pour certaines personnes, entrer dans ce milieu-là et se conformer, ça signifie se déguiser », m’avait-elle expliqué en entrevue.

À part pour l’Halloween, Catherine Dorion refusait de se déguiser en députée modèle. Elle préférait le coton ouaté au tailleur. Elle participait à un spectacle, mais tenait à conserver le choix des costumes.

Louis-Philippe Boulianne l’a défendue, lui aussi. Systématiquement, pendant quatre ans, il l’a protégée des solidaires exaspérés par ses aventures médiatiques, a-t-il confié sur X.

Au début, il partageait avec Catherine Dorion un « mépris profond de l’Assemblée nationale ». Mais ce point de vue « puéril et enfantin » a changé, à force de voir les députés de son parti passer « des centaines d’heures à tirer des projets de loi vers la gauche ».

Il arrive en effet que les députés de l’opposition parviennent à faire adopter des amendements qui améliorent réellement la vie des Québécois ordinaires. Pour ça, ils doivent travailler dans l’ombre, loin des kodaks. Catherine Dorion, elle, cherchait constamment la lumière.

L’un des rares passages où l’ancienne députée fait preuve de mansuétude à l’égard de ses collègues décrit sa propre sortie de scène, triomphale.

Elle s’apprête à poser une dernière question quand des applaudissements retentissent dans un coin du Salon bleu. « Et puis tout le monde emboîte le pas, écrit-elle. En face, ils se lèvent d’un bloc, ils continuent à applaudir, dix-sept longues secondes de douceur inattendue dans cette grande salle austère. C’est spontané, rien de protocolaire. Un moment sincère, un cadeau de départ. Pour moi. Qui me va droit au cœur. Je ne vois plus des partis, des députés, des ministres, des riches, des “politiciens à gogo”. Je vois des papas, des grands-mamans, du monde ordinaire qui, par d’étranges concours de circonstances, se sont retrouvés là, mais qui, tous, peuvent être touchés et vouloir toucher à leur tour. »

Ironie du sort, ce n’est qu’au moment de la quitter que Catherine Dorion semble avoir compris que la politique, après tout, n’était pas juste un gros show cynique.