L’affaire a été présentée mercredi par l’administration Plante comme une belle et grande nouvelle pour les milliers d’animaux errants de la métropole.

Un genre de paradis pour les chiens et les chats qui coûtera 17 millions de dollars par année aux contribuables.

Je résume ce feuilleton faunique pour ceux qui ne l’auraient pas suivi.

Après 12 ans de tergiversations, Montréal pense avoir trouvé la meilleure solution pour centraliser le traitement des animaux abandonnés dans un seul et même lieu. La Ville vient d’accorder un contrat de gré à gré de 158 millions à un organisme à but non lucratif (OBNL), Proanima, qui devra aménager et exploiter une fourrière dans l’est de l’île à partir de 20261.

Le contrat d’une durée de 10 ans, déjà inhabituel par son ampleur, pourrait être suivi d’une prolongation d’une autre décennie, estimée à 251 millions de dollars.

Facture totale pour les contribuables montréalais d’ici 20 ans : 410 millions.

Il y aura peut-être un deuxième centre qui s’ajoutera dans l’ouest de l’île, mais on ignore quand et combien il coûtera. La somme totale risque encore de grimper.

Bref, on parle ici de gros bacon pour s’occuper de petites bêtes poilues.

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L’élue responsable de ce dossier, Maja Vodanovic, a expliqué mercredi toutes les bonnes raisons qui justifieraient d’investir autant d’argent public dans le bien-être des animaux – j’y reviendrai plus loin.

Mais dans le contexte budgétaire actuel, une semaine après le dépôt d’un budget municipal qui fera bondir le compte d’impôts fonciers des Montréalais de 4,9 %, cette nouvelle dépense copieuse passe assez mal, merci.

Il y a le montant en jeu, mais aussi la manière dont toute cette affaire a été gérée.

Le dossier traîne depuis 2011, sous l’administration de l’ancien maire Gérald Tremblay. À l’époque, un reportage d’Enquête avait révélé que le principal fournisseur de services animaliers de la municipalité, le Berger blanc, maltraitait des bêtes confiées à ses soins.

De ce scandale a germé l’idée de créer un grand refuge centralisé, sous l’autorité de la ville.

Le projet, comme c’est souvent le cas à Montréal, a connu plusieurs incarnations. Son emplacement est passé du parc Angrignon, dans le Sud-Ouest, au boulevard Pie-IX, dans l’Est. Sa facture a gonflé de 23 à 40 millions. Puis l’idée a tout simplement été abandonnée en 2020.

C’est finalement un contrat de sous-traitance très vaste (et assez flou) qui sera accordé à l’OBNL Proanima, a-t-on appris cette semaine. Certains conseillers municipaux déplorent avoir été informés à peine trois jours avant la réunion du conseil municipal, alors qu’ils devaient voter pour approuver le projet.

Les points d’interrogation – et les voyants orange – sont nombreux dans ce dossier.

La Commission permanente de l’examen des contrats, qui scrute tous les contrats municipaux de plus de 20 millions, a soulevé plusieurs questions lors d’une réunion à huis clos le 8 novembre dernier.

Le prix élevé du contrat a été au cœur des discussions, révèle un document, ce qui se comprend aisément. La facture par habitant pour s’occuper des animaux augmentera « sensiblement » et un « rattrapage accéléré » est à prévoir à Montréal.

La Commission s’est aussi interrogée sur la pertinence d’accorder un contrat dès maintenant à Proanima… alors que le groupe n’a encore aucune idée du lieu où son refuge sera situé !

L’OBNL pourrait construire un nouveau centre ou rénover un bâtiment existant, mais rien n’est encore déterminé.

L’immeuble sera « dans l’Est », quelque part… Et il coûtera une vingtaine de millions, estime-t-on, tandis que le reste de l’argent servira à payer les honoraires de Proanima.

Il reste de nombreuses ficelles à attacher, ce qui n’a pas empêché la Commission de donner son feu vert.

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Montréal paie en ce moment beaucoup moins cher que les autres villes canadiennes pour la gestion des animaux errants, environ 2 $ par habitant chaque année, mais cette situation est anormale, a expliqué Maja Vodanovic mercredi.

Depuis le scandale de maltraitance de 2011, la SPCA a pris le relais du Berger blanc dans plusieurs quartiers de la métropole. Des services payés en grande partie par les donateurs de cet organisme.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Maja Vodanovic, élue responsable de ce dossier

Montréal profitait en quelque sorte de cette générosité, a fait valoir Mme Vodanovic.

Il était temps pour la Ville d’assumer elle-même le bien-être et la stérilisation des animaux errants, a-t-elle résumé. D’autant qu’il s’agit d’une responsabilité municipale en vertu de la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal.

Le cœur de l’affaire, maintenant. L’argent.

Est-ce que la Ville de Montréal (donc vous et moi) paiera le juste prix pour les services de Proanima ? C’est très dur à dire.

La Ville estime faire une bonne affaire, vous vous en doutez bien. Le coût annuel du nouveau contrat s’établira à 9,43 $ par habitant à Montréal, contre 5,04 $ à Toronto, 9 $ à Calgary et 11,33 $ à Ottawa, selon les estimations présentées mercredi.

Impossible de dire si le prix est bon, puisqu’on ignore sur quelle base précise se fait la comparaison.

Difficile aussi de savoir si le service aurait pu être livré à moindre coût à l’interne, par des employés de la Ville de Montréal, comme cela a été le cas récemment avec certains contrats de déneigement.

Les contribuables devront accepter les explications fournies – et ramasser l’addition pour au moins 10 ans.

1. Lisez « Montréal aura son refuge, mais la facture explose »