Trois votes. Voilà tout ce qui séparait Émilise Lessard-Therrien (50,3 %) de Ruba Ghazal (49,7 %). Une crevaison dans une voiture de militants et les rôles auraient été inversés.

Le débat de samedi a été décisif dans la course au co-porte-parolat féminin de Québec solidaire. Car Émilise Lessard-Therrien (ELT) était la meilleure oratrice. Au congrès de Gatineau, elle a frappé les délégués là où ça compte : dans les tripes.

Elle s’est démarquée avec son style populaire, émotif et authentique, et sa langue riche et colorée. Cette justesse dans l’émotion n’est pas quelque chose qui s’improvise. On peut le perfectionner, mais on ne peut pas le fabriquer à partir de rien. Cela relève du talent politique.

Mais surtout, les quelque 600 délégués présents à Gatineau ont opté pour la différence.

C’était elle qui se démarquait le plus des autres candidates.

Ruba Ghazal et Christine Labrie représentent l’aile parlementaire. Depuis sa défaite en 2022 dans Rouyn-Noranda–Témiscamingue, ELT est redevenue associée à la base militante. Cela lui a donné une latitude pour critiquer des décisions controversées, comme celle de briser le front commun politique en achetant de la publicité sur Meta durant la partielle dans Jean-Talon.

ELT est aussi la seule représentante des régions. Sherbrooke, la circonscription de Mme Labrie, reste une ville universitaire. Or, en 2022, au net, QS a reculé dans 34 circonscriptions de banlieue ou de région. C’est là que l’effort doit être mis.

La nouvelle co-porte-parole était également celle qui se démarquait le plus de Gabriel Nadeau-Dubois (GND).

Lui représente Montréal. Elle, le Témiscamingue. Lui est un sociologue urbain formé dans les luttes étudiantes et syndicales. Elle est une diplômée en éducation et ex-conseillère municipale devenue agricultrice. Et lui tente de démontrer à l’Assemblée nationale que son parti est professionnel et prêt à gouverner, tandis qu’elle veut labourer la colère hors de cette enceinte pour créer un mouvement populaire.

Comme GND, Mme Labrie est cartésienne. Ses mots sont efficaces, mais ils paraissent mûrement étudiés. Au début de la course, ses chances semblaient excellentes. Elle dominait pour les appuis dans le caucus. Mais après avoir hésité à se lancer, elle semblait ne pas s’investir autant que ses adversaires.

Comme GND, Mme Ghazal représente Montréal. Militante depuis la création du parti, elle misait sur une bonne organisation. Elle courtisait notamment les nationalistes dits « inclusifs ».

Cette enfant de la loi 101 espérait offrir un nouveau visage à son parti. Mais si elle avait gagné, les deux porte-parole auraient formé un tronçon sur la ligne orange du métro avec leurs circonscriptions. Et dans cette course, être loin de GND, c’était un atout.

Ce contraste entre les co-porte-parole n’a rien de neuf.

Amir Khadir et Françoise David se complétaient bien parce qu’ils ne se ressemblaient pas. Même chose pour GND et Manon Massé. Et ce sera encore plus le cas avec ELT, qui est l’héritière de Mme Massé. Mais il y a plus.

Après la décevante élection de 2022, le parti de gauche a connu un automne frustrant. Il ne profite pas de l’insatisfaction à l’endroit du gouvernement Legault. Sa croissance s’est arrêtée. Les optimistes y voient une pause. Les pessimistes craignent d’avoir atteint un plafond.

À l’interne, GND est montré du doigt. Certains trouvent qu’il en mène large. Les communications seraient trop centralisées autour de lui. Ils jugent que QS commence à ressembler aux autres partis. Tant qu’à stagner dans les intentions de vote, mieux vaut le faire en s’assumant, se disent-ils.

Cela dit, cette grogne doit être relativisée. Après tout, GND a obtenu 90 % d’appuis, une faible baisse par rapport à son résultat précédent (94 % en 2021). Des délégués ont pu se dire : on n’est pas satisfait, mais quelqu’un d’autre ferait-il vraiment mieux que lui ?

Avec le choix de la porte-parole, ils ont toutefois compensé ses lacunes perçues.

Depuis sa création, QS comprend une aile antisystème et méfiante de toute délégation de pouvoir. Catherine Dorion en faisait partie. Elle était très critique de GND.

Deux jours avant le vote, ELT a salué le livre de son ancienne collègue. Elle l’a félicitée d’avoir « joué en équipe » et elle s’est engagée à lutter à son tour « partout contre le pouvoir qui se centralise et qui se verticalise ».

Durant la course, Mme Labrie promettait de rompre avec l’image de « pelleteux de nuages » de QS pour en élargir la base. ELT tient un autre discours. Selon elle, la gauche a « tout ce qu’il faut sans avoir besoin de se recentrer ».

Dimanche, pendant que GND concentrait ses attaques sur François Legault, ELT ratissait plus large. Elle prétendait parler au nom du peuple, même si seulement 16 % des Québécois appuient son parti.

Cela dit, François Legault affirme souvent lui aussi parler au nom des Québécois. Et on devine évidemment à qui ELT réfère : ceux qui en arrachent pour payer leurs factures et qui ont l’impression de ne pas avoir d’emprise sur leur vie.

N’empêche que la plupart de ces individus font encore le choix – qu’on doit présumer lucide – de voter pour un autre parti, s’ils votent.

Le défi de ELT sera de les conquérir.

Et à plus court terme, elle devra trouver une façon d’exercer ses fonctions loin de l’Assemblée nationale. Avant elle, Andrés Fontecilla avait été co-porte-parole sans être élu.

Mais c’était entre 2013 et 2017, quand QS ne comptait pas plus de trois députés. Et donc, pas de caucus à gérer. Ajoutons que M. Fontecilla, comme Paul St-Pierre Plamondon entre 2020 et 2022, souffrait du manque de visibilité causé par son éloignement de l’Assemblée nationale.

Les solidaires devront décider comment compenser financièrement son travail.

D’ici la prochaine campagne, GND et ELT auront une mission cruciale : conquérir les électeurs de 55 ans et plus, leur grande faiblesse. Ce qu’ils essaieront de faire avec leurs styles complémentaires. Mais l’un sera plus visible que l’autre. Car juste avant, les militants décideront laquelle des deux têtes les défendra au débat des chefs.