« Est-ce que tout le monde peut, s’il vous plaît, cesser de crier ? » Aux Communes, jeudi, la présidente d’un comité parlementaire avait beau tenter de ramener les députés à l’ordre, rien n’y faisait. Scandalisés, les élus poussaient les hauts cris. La source de leur indignation : une députée albertaine venait de demander à une ministre québécoise de répondre à sa question… en anglais.

Oh, le bon sujet de chronique, me suis-je dit, sur le coup. J’étais déjà pompée, prête à prendre la plume pour défendre l’honneur des francophones, comme ça, à chaud. Je leur aurais dit, moi : ils n’ont jamais cru en nous. Ben, tu sais quoi, man ? Gardez-le, votre anglais ! On est les fucking champions ! Let’s gooo !!!

Sauf que, tel Marc-Antoine Dequoy de retour de Hamilton, j’ai eu le temps de reprendre mes esprits. J’ai fait mes petites recherches. Et comme c’est souvent le cas, lorsqu’on vérifie une histoire au premier abord scandaleuse, pfffff, la balloune s’est dégonflée…

Je ne suis pas en train de défendre cette députée conservatrice, Rachael Thomas, qui a l’air assez intense, merci. Elle a notamment promis de faire un « enfer » du Comité permanent du patrimoine canadien, en plus d’accuser CBC/Radio-Canada d’être dans le camp du Hamas, rien de moins.

Mais il faut bien admettre que son échange avec la ministre Pascale St-Onge ne frappe pas particulièrement par son « mépris suintant », comme le chef bloquiste Yves-François Blanchet l’a qualifié par la suite.

Au contraire, la députée Thomas, qui avait entendu la ministre répondre en anglais quelques minutes auparavant, a mis des gants blancs pour lui faire sa demande : « Je suis consciente que c’est entièrement votre choix, nous sommes un pays bilingue, mais si c’était possible pour vous, j’apprécierais… »

Elle n’a pas eu le temps de finir sa phrase, enterrée par les cris d’indignation.

Je présume que son intention était de diffuser son échange avec la ministre pour consommation locale, en Alberta. C’était sans aucun doute maladroit, sûrement déplacé, mais méprisant ? Ce n’est pas comme si elle avait aboyé Speak White ! à la figure de la ministre du Patrimoine canadien…

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Vous avez remarqué ? Ça arrive beaucoup, ces jours-ci. On crie tous en même temps, pour des niaiseries. On s’indigne de tout et de rien. On monte des histoires en épingle, on transforme des anecdotes en scandales. Don’t let the facts get in the way of a good story, comme disent les Chinois.

C’est comme pour cette histoire de Noël que la Commission canadienne des droits de la personne voudrait apparemment voir disparaître. Le ministre responsable de la Lutte contre le racisme, Christopher Skeete, a cru bon déposer une motion à l’Assemblée nationale pour rappeler haut et fort que « la fête de Noël est une tradition célébrée au Québec ».

Le document de réflexion qui a mené à cette levée de boucliers déplore que seules les fêtes religieuses liées au christianisme, comme Noël et Pâques, sont jours fériés au Canada. Il s’agirait d’un exemple évident de « discrimination religieuse systémique », « ancrée dans l’histoire du colonialisme du Canada ».

On dirait une blague, mais non. C’est exaspérant, à la fin, ce genre de discours moralisateur et culpabilisant. On ne s’excusera pas de fêter Noël, quand même. Là-dessus, je suis bien d’accord.

Mais de là à déposer une motion à l’Assemblée nationale…

Fallait-il vraiment dénoncer au Salon bleu un document qui était largement passé inaperçu depuis sa publication, le 23 octobre, et qui aurait fort probablement continué à passer inaperçu sans cette motion ? Je ne sais pas pour vous, mais il me semble que nos parlementaires exagèrent un tantinet l’importance de cet obscur document. N’ont-ils pas mieux à faire de leur temps ?

Ironiquement, la motion dénonce « toute tentative de polarisation à l’endroit d’évènements rassembleurs » comme Noël. Mais dans ce cas-ci, qui tente de polariser, au juste ? Qui s’amuse à gonfler la balloune ? À en croire certains politiciens, la Commission canadienne des droits de la personne accuserait carrément ce bon vieux père Noël d’être un fieffé raciste…

Je rappelle au passage que le seul gouvernement qui a annulé Noël, au Québec, c’est celui de François Legault, en pleine pandémie. C’était justifié, pour sauver des vies. Dieu merci, c’est de l’histoire ancienne. La crise est derrière nous.

C’est drôle, j’ai parfois l’impression qu’on s’ennuie de ce temps-là. On fabrique des crises de toutes pièces, comme si on cherchait désespérément à se chicaner…

Tenez, cette semaine encore, j’ai lu une manchette qui dénonçait les voyages en classe affaires, plus chers et plus polluants, de Steven Guilbeault. Le scandale, je l’avoue, m’a échappé. On parle tout de même du ministre de l’Environnement du Canada. Faudrait-il qu’on le coince au fond de l’avion, à côté des toilettes, pour rendre ses déplacements plus acceptables ?

Je n’oublie pas le scandale tout frais de Québec solidaire (QS), qui se promet de réserver ses investitures aux femmes. Première réaction, épidermique : ben voyons donc ! Les champions de la démocratie locale veulent imposer leurs candidats ?! Quelle ironie !

Cela dit, j’ai compris le truc, maintenant : avant de s’énerver, toujours lire les petits caractères. Dans le cas de QS, les investitures seront réservées aux femmes en cas d’élection partielle, dans la prochaine année. Autrement dit, cette mesure ne sera peut-être jamais appliquée. Et QS conservera un caucus fort peu paritaire de huit hommes et quatre femmes. Pas vraiment de quoi crier au sexisme inversé.

Mais au diable les nuances, c’est plus fort que nous : on s’énerve le poil des jambes, pour ça comme pour le reste. On a les nerfs à vif. Ce n’est pas mêlant, même cette chronique qui chiale contre tout m’énerve. Vivement Noël.