L’ironie a voulu que les aventures mercantiles de Stéphane Le Bouyonnec resurgissent la semaine dernière alors que Christian Dubé adoptait sa réforme du système de santé.

Le destin lie les deux. En août 2018, Le Bouyonnec était président de la CAQ et candidat dans La Prairie. Il a fini par démissionner à cause de son implication dans Finabanx. Il était actionnaire et administrateur de cette société qui offrait des prêts à des taux pouvant s’élever à 90 %. C’était légal parce que la société opérait en Ontario. Au Québec, ce taux dépasse la limite permise.

Christian Dubé avait accepté de le remplacer en pleine campagne. C’était un coup de pouce à François Legault après avoir quitté le navire en début de mandat en 2014 pour se joindre à la Caisse de dépôt et placement du Québec.

On connaît la suite. Au début de la pandémie, M. Dubé a été nommé ministre de la Santé. Après avoir hésité, il s’est présenté à nouveau aux élections. Il en est rendu à son deuxième mandat à titre de ministre de la Santé et il vit maintenant son moment de vérité.

Un bâillon n’est jamais un grand épisode de parlementarisme. Le gouvernement court-circuite les débats et provoque un vote.

Peu de gens étaient toutefois surpris. Avec ses 1180 articles, ce projet de loi était au quatrième rang des plus volumineux depuis les années 1980. Et il est celui qui a été étudié le plus longtemps – pas moins de 238 heures en commission parlementaire.

Selon M. Dubé, il ne restait que quelques jours pour compléter l’étude. Il était prêt à prolonger la session, à condition d’avoir une garantie de pouvoir passer au vote avant le 15 décembre. Les péquistes et les solidaires ont refusé.

M. Dubé ne payera pas le prix du bâillon. On oubliera vite comment la réforme a été adoptée. L’important est le résultat. Et si elle échoue, on ne le lui pardonnera pas.

Le ministre crée Santé Québec. Cette agence aura un conseil d’administration qui donnera les orientations du réseau.

L’agence centralise la planification. M. Dubé croit qu’elle s’accompagnera d’une décentralisation pour le choix des moyens pour atteindre ces objectifs. Cela reste à voir, et les sceptiques sont nombreux.

Le plus difficile est à venir, et le bâillon n’aide pas à donner confiance. Jusqu’à la dernière minute, M. Dubé a déposé des amendements. Il y en a eu des centaines au total. Il peinait parfois à les expliquer. Par exemple, il ne savait pas pourquoi Santé Québec pourrait retirer unilatéralement le statut bilingue de certains établissements – ce pouvoir a fini par être enlevé. Il n’avait pas prévu non plus que Santé Québec devrait compter des professionnels en santé parmi ses administrateurs.

Environ 80 articles de fond restaient à être étudiés. Ils portaient notamment sur le volet préhospitalier, comme les paramédicaux et les ambulanciers. À l’extérieur du Grand Montréal, les délais varient, tout comme l’organisation des services.

On n’a pas pu examiner non plus les pénalités pour les médecins spécialistes qui refuseront de voir les patients jugés prioritaires. Et les « Services sociaux » n’ont pas été inclus dans le nom de l’agence.

Mais il s’agit de détails quand on les compare aux autres questions en suspens.

Pour l’instant, la réforme existe seulement sur papier. M. Dubé mettra son comité de transition sur pied au début de l’hiver. Il lui faudra ensuite nommer le PDG et les autres membres du conseil d’administration, et préciser leur mandat. Après qu’il eut dit chercher des top guns du privé, le milieu de la santé surveillera si la personne à la tête de l’agence aura des connaissances minimales du réseau.

Le ministre devra aussi s’entendre avec les syndicats. Il a adopté une loi pour mettre fin graduellement aux agences de placement. Or, Québec doit actuellement négocier avec les syndicats la reconnaissance de l’ancienneté des infirmières et autres professionnelles de ces agences. Comment les inciter à revenir au public sans démotiver celles qui ne sont jamais parties ?

Avec les médecins spécialistes, M. Dubé devra préciser comment il exigera que chaque médecin spécialiste voie un minimum de cas lourds au lieu de privilégier les consultations plus rapides et payantes.

Il y a aussi les accréditations syndicales. Santé Québec deviendra l’employeur unique. Le nombre de syndicats et de conventions collectives sera grandement réduit. Cet aspect n’a pas été inclus dans le projet de loi ou dans les négociations actuelles avec le secteur public.

Et enfin, il y a le changement de culture que doit censément permettre la réforme. C’est le volet le plus important et le plus intangible. Il prendra du temps.

M. Dubé est encore une des figures les plus populaires du gouvernement, un exploit pour un ministre de la Santé. Personne ne s’attend à ce qu’il sollicite un nouveau mandat. Face aux rumeurs d’un départ hâtif, il a toutefois été ferme : il reste pour finir le travail.

François Legault espère que, d’ici 2026, les premières avancées de la réforme se feront sentir. D’ici là, on verra surtout les obstacles.

En chambre, M. Dubé devra subir le barrage des efficaces députés de l’opposition Vincent Marissal et André Fortin, qui le talonnent sur les problèmes qui demeurent sur le terrain – j’y reviendrai dans une prochaine chronique.

D’ici la fin du mandat, M. Dubé risque de trouver le temps long. Mais pas autant que les patients qui attendent encore des soins.

Et Stéphane Le Bouyonnec ? Aux dernières nouvelles, ce top gun du privé est encore sous-ministre.