Ottawa a sorti des boules à mites une mesure d’après-guerre pour s’attaquer à la crise du logement et je dis : bravo.

C’est exactement la mentalité à adopter en ce moment. Voir la pénurie d’habitations comme un ennemi à abattre, et utiliser toutes les munitions disponibles pour l’affronter.

Même si elles datent des années 40.

Le gouvernement fédéral, donc, entend mettre à la disposition des constructeurs un « catalogue » de plans de maisons et d’immeubles multirésidentiels, clés en main. Cette mesure est inspirée d’un programme lancé au sortir de la Seconde Guerre mondiale, qui avait permis d’ériger des dizaines de milliers d’habitations pour loger les vétérans.

On voit encore ces petits bungalows dressés fièrement dans plusieurs villes, entre autres à Montréal, près du Stade olympique.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le ministre fédéral du Logement, Sean Fraser, en conférence de presse mardi à Ottawa avec un ancien « catalogue » de maisons d’après-guerre

Le nouveau plan fédéral pourrait avoir l’air d’une gimmick, surtout si l’on regarde les images du ministre du Logement, Sean Fraser, qui a brandi un vieux catalogue devant les caméras pour annoncer le projet plus tôt cette semaine.

Mais c’est loin d’être un coup d’éclat insignifiant, selon moi.

La standardisation des façons de construire sera une manière très concrète d’accélérer les mises en chantier – et aussi, facteur crucial, l’accès à des fonds fédéraux pour bien des constructeurs.

Il faut reconnaître le mérite du gouvernement de Justin Trudeau : il a ouvert à fond les vannes pour financer l’habitation ces dernières années. Sa Stratégie nationale sur le logement totalise 82 milliards de dollars. Il y a là-dedans des prêts à faible taux pour financer la construction, des subventions pour le logement abordable et des aides à la rénovation.

Dans les faits, il y a plus de demande que d’argent disponible. Les promoteurs privés, les OBNL et tout ce que le pays compte de coopératives se battent pour obtenir des fonds fédéraux. Les délais s’allongent pour l’analyse des dossiers à la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL).

Pour pouvoir se qualifier pour les programmes de la SCHL, les constructeurs en tout genre doivent répondre à plusieurs critères très stricts, entre autres en matière d’efficacité énergétique.

C’est là que le plan fédéral devient doublement intéressant. Le « catalogue » ne contiendra que des plans d’immeubles « préapprouvés » par la SCHL. Ceux qui les utiliseront pourront se qualifier beaucoup plus vite pour divers programmes de financement, m’a expliqué en entrevue le ministre Sean Fraser.

Ce seront donc deux étapes longues et fastidieuses qui seront escamotées d’un seul coup : celle de concevoir des plans d’architecte à fort prix (ils seront déjà fournis), et celle de naviguer dans les méandres de la SCHL pour se qualifier pour des aides financières.

L’objectif d’Ottawa est que les provinces et les villes facilitent à leur tour la délivrance des permis de construction pour les habitations qui seront issues du « catalogue », ce qui viendrait réduire encore davantage les délais pour le démarrage des chantiers.

Moins de bureaucratie et plus de logements : excellent, du moins sur papier.

À quoi ressembleront les plans « préapprouvés » par le fédéral, donc ?

Il y aura des unifamiliales, mais aussi – et surtout – des « plex » et des immeubles multilogements. Sans trop s’avancer, Sean Fraser me dit que les plans pourraient aller jusqu’à 12 étages, et qu’ils viseront beaucoup la « densification ». C’est ce qu’il faut.

IMAGE FOURNIE PAR LA SCHL

Le plan d’un petit bungalow, tiré d’un catalogue de 1954 de la SCHL

Ottawa mènera des consultations au début de 2024, et compte arriver avec un catalogue de quelques modèles préapprouvés plus tard dans le courant de l’année (le plus tôt sera le mieux).

Les constructions modulaires, préfabriquées, pourraient constituer un morceau important de la relance des mises en chantier, selon Ottawa.

C’est loin d’être une vilaine idée.

Il y a moyen de faire du beau, du pas trop cher et du rapide, avec le « préfab ». Je vous ai parlé il y a quelques mois d’un projet de 19 studios pour ex-itinérants, construit en 18 mois à peine dans le quartier Mercier à Montréal avec des blocs modulaires construits en usine. Un vrai succès1.

La standardisation est aussi la méthode employée avec brio par l’UTILE, un organisme qui crée des centaines de logements étudiants partout au Québec. Ses immeubles sont construits en béton, mais le groupe réutilise les mêmes designs (et les mêmes fournisseurs) pour faire les cuisines et d’autres composants à l’intérieur de ses appartements. Cela lui permet d’aller plus vite et de réaliser des économies d’échelle2.

Québec pointe aussi vers cette direction.

La Société d’habitation du Québec (SHQ), le bras immobilier du gouvernement, mise depuis peu sur le modulaire. Elle a débloqué un budget de 5 millions de dollars pour construire 18 logements modulaires en Gaspésie et dans Charlevoix, en vue de loger des travailleurs de la santé3.

Les premières habitations ont été livrées en 10 mois au total, m’a-t-on confirmé à la SHQ. C’est très rapide.

Les plans d’Ottawa et de Québec devront être scrutés à la loupe, entre autres pour s’assurer qu’il y aura un minimum de qualité architecturale dans ce grand effort de standardisation.

Il faut néanmoins saluer ces mesures concrètes pour s’attaquer à la crise. Il manque plus de 3,5 millions de logements pour répondre à la demande de base au pays d’ici 2030 selon la SCHL, probablement davantage, et chaque geste compte pour rattraper le retard.

Un effort de guerre s’impose, rien de moins.

1. Lisez la chronique « Construire vite (et bien), ça se peut » 2. Lisez la chronique « Un bon coup à répéter à toutes les sauces, SVP » 3. Découvrez une unité modulaire à Baie-Saint-Paul (source : SHQ)