S’il fallait un mot pour résumer ce conflit, ce serait « flexibilité ». C’est ce que demande le gouvernement, et ce que craignent souvent les syndicats.

Des enseignants voudraient faire de ce conflit un combat pour l’école publique. Ils placent la barre exceptionnellement haut. Le nombre d’enjeux pouvant être réglés dans une négociation collective est pourtant assez limité.

En fait, il n’y a pas seulement un camp qui se soucie des services publics. La survie même du gouvernement caquiste dépend de la qualité de l’éducation et des soins. Et il est connu que le sort des élèves en difficulté a toujours été une priorité personnelle pour M. Legault.

Le cœur du conflit réside plutôt dans la pénurie de main-d’œuvre et son cercle vicieux. Moins il y a d’employés, plus leurs conditions de travail se dégradent, et plus il devient difficile de recruter ou de garder le personnel, ce qui aggrave la crise.

Tout le débat consiste à savoir comment se sortir de cette spirale.

Depuis son retour en politique, François Legault semble vouloir en découdre avec les syndicats. Le début de son deuxième mandat marque son moment de vérité, avec les réformes en santé et en éducation, ainsi que cette négociation.

C’est ici qu’on découvre l’identité de la CAQ : un parti qui recourt à des méthodes de gestion du privé pour améliorer « l’efficacité » des services publics.

Cela explique son insistance sur le mot « flexibilité ». Et aussi, sans surprise, la méfiance des syndicats.

Comme le démontre la santé, ce n’est pas parce qu’on injecte plus d’argent dans le système que les services s’amélioreront. L’organisation du travail importe aussi.

Voici quelques exemples.

En santé, Québec veut réaffecter le personnel selon les besoins. Par exemple, envoyer une infirmière à l’urgence d’un hôpital. Ce n’est pas idéal, reconnaît Québec. Mais c’est mieux que d’abandonner les patients.

Le syndicat y voit un danger. On donne l’exemple d’une infirmière expédiée pour la première fois dans un CHSLD. Sa formation ne l’y a pas préparée. Elle ne connaît pas non plus les patients. Elle peine à savoir si leur état s’améliore ou empire. Cela la stresse et la démobilise. En Mauricie–Centre-du-Québec, cette pratique a mené à des démissions.

Québec assure que ces déplacements resteront volontaires. Si c’est le cas, pourquoi alors en parler durant les négociations, rétorquent les syndicats ?

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation des membres de la FIQ dans le centre-ville de Montréal, en novembre dernier

Québec déplore que dans six CISSS et CIUSSS, les infirmières ne puissent pas autogérer leur horaire pour se partager les quarts impopulaires, la nuit et la fin de semaine. Des syndicats locaux le refuseraient au nom de l’ancienneté. Cela accélérerait la désertion des plus jeunes.

Ce n’est pas si simple, répliquent les syndicats. Si ce partage échoue et que des quarts restent vacants, qu’arrivera-t-il ? Un retour au temps supplémentaire obligatoire.

Le syndicat des infirmières réclame un ratio pour plafonner le nombre de patients à leur charge. Les soignantes seraient assurées d’avoir une tâche gérable. Le roulement de personnel diminuerait, et il y aurait des candidates pour les postes ouverts. Car le Québec ne manque pas d’infirmières. La pénurie découle de l’absentéisme, du temps partiel et des démissions.

En éducation, la flexibilité s’incarne différemment. Il manque bel et bien d’enseignantes et de ressources spécialisées pour les jeunes en difficulté.

Le personnel n’invente rien quand il se plaint de sa tâche devenue plus lourde. Depuis 10 ans, le nombre d’élèves avec un plan d’intervention au secondaire public a bondi, de 26 % à 33 %. Cela explique que près d’un quart des jeunes profs démissionneraient avant d’avoir atteint cinq ans de métier.

La colère plus vive de la FAE s’explique entre autres par le fait que ses membres travaillent dans les écoles les plus défavorisées.

Les syndicats veulent alléger la composition de la classe. Les suggestions de la FAE et de la FSE diffèrent. Mais elles se ramènent à une idée : au-delà d’un certain seuil d’élèves en difficulté, on devrait ajouter du personnel spécialisé, diminuer la taille de la classe ou en créer une nouvelle.

Chacune de ces solutions revient à embaucher plus de gens. Québec répète la même chose : on aimerait bien, mais on les trouve où ? Si rien ne change, réduire la taille des classes équivaut à aggraver la pénurie d’enseignants.

La meilleure façon d’améliorer les conditions de travail est d’attirer de nouveaux profs. Pour ce faire, Québec a entre autres créé des bourses, recruté à l’étranger et instauré la nouvelle maîtrise qualifiante. Pour cette dernière option, les universités et les syndicats se plaignent qu’on dévalorise la profession avec des « diplômes au rabais ». Mais entre un enseignant formé un peu vite et une chaise vide, le choix est facile, rétorque le gouvernement Legault.

Comme en santé, Québec exige un plus grand contrôle sur le personnel. Par exemple, on voudrait pouvoir refuser au besoin à des profs la semaine de quatre jours, qui aggrave la pénurie. Ou encore imposer des changements d’horaire, comme l’annulation de journées pédagogiques pour du rattrapage comme au retour de la grève.

Comme en santé, les syndicats soutiennent que cela démotivera les enseignants et augmentera les démissions.

Québec veut ajouter plus de 4000 aides à la classe, des éducatrices en services de garde qui seraient volontaires pour ajouter des heures à leur horaire à temps partiel. C’est bien, réagissent les syndicats, mais ça ne remplace pas les techniciennes spécialisées (TES) qui sont formées pour intervenir auprès des jeunes en difficulté. Là encore, Québec répond : il en manque et on ne peut pas les cloner.

Les syndicats ont eux aussi des demandes pour la flexibilité, comme le télétravail pour les journées pédagogiques, ce qui semble fort raisonnable.

Voilà la trame de fond du conflit. Il est moins manichéen qu’on le prétend. Il oppose deux visions de l’organisation du travail. Et deux réactions face à un problème qui est plus facile à critiquer qu’à régler.