C’est l’heure de ma chronique annuelle sur le bouillon de poulet. Vous êtes nombreux à m’en parler, à me demander ma recette. Je me suis dit, fine mouche, pourquoi ne pas commencer l’année 2024 en (re)donnant aux lecteurs de La Presse cette recette quasiment mondialement connue ?

Mais d’abord, permettez-moi de vous offrir mes meilleurs vœux pour 2024. La santé, les défis, tout ça. Mais surtout… l’amitié.

La vie n’étant jamais un long fleuve tranquille pour personne, l’année 2023 m’a parfois vu tomber de mon canot pour jouer à saute-mouton dans les rapides de la vie. Comme tout le monde, j’ai pris quelques bouillons1.

Mais 2023 m’a rappelé l’importance d’une chose qu’on peut tenir pour acquise, comme le poulet d’élevage tient sa moulée pour acquise, comme le poisson tient l’eau pour acquise et comme le haut dirigeant de l’Office de consultation publique de Montréal tient son voyage au Brésil toutes dépenses payées par le contribuable pour acquis : je parle de l’amitié.

J’ai tissé au fil des décennies, sans trop m’en rendre compte, une constellation d’amitiés. Des gars, des filles, des vieux, des moins vieux – autant de gens que je connais et qui me connaissent très bien.

C’est la grâce que je vous souhaite pour 2024, celle de cultiver des amitiés solides. C’est bien beau, avoir des amis, on dit ça comme ça, « C’est un ami », mais ce lien est-il… une amitié ?

Le mot « ami » est galvaudé, à l’ère des centaines d’« amis » Facebook. La nuance entre « amis » et « amitié » n’est pas de moi, elle est de la thérapeute Esther Perel, en entrevue dans un de mes podcasts préférés du moment2 : c’est bien beau, avoir des amis, mais avez-vous des amitiés ?

J’ajoute : il faut s’entourer d’amis qui vont interrompre leur journée pour vous tendre la main si vous tombez hors de votre canot…

PHOTO DOMINICK GRAVEL, LA PRESSE

Patrick Lagacé à l’œuvre

C’est l’amitié qui m’a permis de découvrir ce fameux bouillon de poulet quasiment mondialement connu. C’est celui de Denis Fugère, naguère boucher à Sainte-Geneviève-de-Batiscan, le père de Dominic « Vroum-Vroum » Fugère3, mon ami depuis plus de 30 ans. Or, Denis, le père de Vroum-Vroum, est mort l’année dernière.

Je vous cède donc ma recette de bouillon inspirée de celle de Denis, à une seule condition : ayez une pensée pour Denis-le-Boucher, à la première gorgée.

Donc, la recette. Je le précise : ce n’est pas de la pâtisserie, vous pouvez prendre des chemins de traverse et improviser…

Je fais mon bouillon dans un faitout de 11 litres. Si vous utilisez une cocotte plus petite, mettez moins de volaille et de légumes.

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Notre chroniqueur coupant grossièrement une kyrielle de légumes

Donc, première étape : mettez un demi-bulbe de fenouil dans une lèchefrite (je ne couvre pas). Ajoutez une ou deux carottes, deux, trois oignons, quelques bouts de céleri (sans les feuilles, réservez les feuilles). Vous pouvez ajouter un peu de thym et de romarin. Deux gousses d’ail.

Aspergez d’huile d’olive. Salez et poivrez. J’ai ajouté des épices de poulet cajun. Pour les épices, restez dans la thématique viandeuse. Évitez la cannelle, genre…

Par-dessus ce joyeux amoncellement, vous déposez vos carcasses de poulet. Je laisse de la viande sur les miennes. De la dinde, ça le fait. Si vous avez des os de canard, lâchez-vous lousse…

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Les carcasses de volaille au four à 400 °F pendant 45 minutes environ

(Les os de volaille se congèlent, pour fabrication ultérieure de bouillon.)

Vous enfournez à 400 °F pendant 45 minutes environ. Il faut laisser rôtir, que ça brunisse.

Ensuite, vous mettez l’eau à bouillir. Salez l’eau. Mettez-y vos feuilles de céleri.

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On laisse bouillir l’eau avec du sel et des feuilles de céleri.

Prochaine étape : vous mettez une casserole (ou un poêlon) sur le feu. Là, c’est l’opération caramélisation des légumes. Un quart de tasse d’huile et de beurre. Une gousse d’ail. Deux, si le cœur vous en dit.

Coupez grossièrement des carottes, du céleri, des oignons. Salez, poivrez, assaisonnez si le cœur vous en dit avec des herbes de Provence.

Et vous faites cuire le tout à feu élevé. Il faut que ça colle. Et quand ça commence à coller, quand vos légumes commencent à brunir, pouf, vous déglacez avec une demi-tasse d’eau, selon la taille du poêlon (ou de la cocotte).

Et on recommence l’opération : vous laissez réduire, puis vous laissez coller encore…

  • On laisse cuire les légumes à feu élevé…

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    On laisse cuire les légumes à feu élevé…

  • ... et on déglace, jusqu’à obtention d’un délectable liquide brunâtre.

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    ... et on déglace, jusqu’à obtention d’un délectable liquide brunâtre.

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Et on recommence : de l’eau pour déglacer.

On déglace deux, trois fois : faut que tout le suc et tout le goût des légumes exultent dans le petit liquide brunâtre du fond de poêlon. Déglacer deux, trois fois devrait vous prendre une demi-heure, environ.

Déposez vos légumes dans l’eau, qui devrait commencer à bouillir, avec le petit jus brunâtre au fond de la cocotte (ou du poêlon).

Ouvrez le four en prenant un pas de recul (à 400 °F, ça décoiffe) et inspectez les carcasses : si c’est juste assez brun, vous fourguez le tout dans l’eau, avec les légumes.

Portez à ébullition pendant, je dirais, 10 minutes.

Ensuite, pendant deux, trois heures, vous laissez réduire un peu à feu moyen. Il faut qu’un petit bouillon crève la surface.

De temps en temps, goûtez. Si c’est trop salé, ajoutez un peu d’eau. Si c’est pas assez salé (vous l’aurez deviné…), ajoutez du sel jusqu’à satisfaction.

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Notre chroniqueur Patrick Lagacé

Le bouillon est opaque, quasiment brun ? C’est normal. C’est ce qu’on veut. On ne concocte pas de bouillon clair, ici…

Dernière étape : on éteint le feu, on laisse refroidir. On égoutte dans une passoire à spaghetti coiffant une autre cocotte.

Versez le bouillon dans des pots Mason ou dans des pots en plastique (auquel cas : attendez que ça refroidisse complètement).

Une batch de bouillon faite dans mon faitout de 11 litres me donne généralement entre six et sept pots de 900 ml. Oui, ça se congèle.

Voilà, c’est mon bouillon, inspiré de celui du père de Doum. Ceci est mon bouillon, buvez-en tous, amen. Ça fait les meilleures soupes au monde. Et la soupe, je vous l’ai déjà dit, c’est la vie.

Je vous ai dit plus haut que je vous refilais cette recette à une seule condition : que vous ayez une pensée pour Denis-le-Boucher, mort l’an dernier…

Je pose une deuxième condition, si vous le permettez.

Donnez un de vos pots de bouillon à une personne dont l’amitié vous est chère. Quelqu’un qui vous tend parfois la main pour vous remonter dans le canot.

Deal ?

1. OK, jeu de mots facile…

2. Écoutez l’épisode de la balado Pivot avec Esther Perel (en anglais)

3. Dominic est le patron du Grand Prix de Trois-Rivières et un redoutable cuisinier, encore plus depuis qu’il a reçu un nouveau couteau japonais en cadeau.