À ce qu’on dit, le reste du Canada vient enfin de se réveiller au sujet de l’immigration, alors que le Québec sonne l’alarme depuis des années, que dis-je, depuis des décennies.

Il faut pourtant admettre une chose : il y a longtemps que le Québec, comme d’autres provinces, laisse entrer des étudiants et des travailleurs étrangers temporaires à pleines portes, sans que personne n’y trouve rien à redire, parce que ça fait l’affaire de tout le monde, au fond.

Rappelez-vous le temps passé à débattre du seuil d’immigration idéal pour le Québec, lors de la dernière campagne électorale : était-ce 35 000, 60 000, ou alors 70 000 ? Les candidats s’entredéchiraient pour quelques dizaines de milliers d’immigrants permanents. Pendant ce temps-là, l’immigration temporaire, elle, augmentait de façon fulgurante, sans que cela fasse l’objet de réel débat. Désormais, le Québec compte plus de 500 000 résidents non permanents.

Et à voir l’ampleur de la couverture médiatique à ce propos, on dirait bien qu’il n’y a pas que le reste du Canada qui se réveille, ces jours-ci…

Lundi, le ministre fédéral de l’Immigration, Marc Miller, a annoncé l’établissement d’un plafond de deux ans pour les étudiants étrangers acceptés au pays, histoire de réduire la pression sur la demande de logements.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Étudiantes sur le campus de l’Université McGill

Il faut dire que depuis quelques années, le nombre d’étudiants étrangers a grimpé en flèche, franchissant le cap du million en 2023 (dont 117 000 au Québec).

Ah, c’est qu’ils sont bien pratiques, pour ne pas dire essentiels, ces étudiants venus d’ailleurs, pour faire fonctionner nos universités en état de sous-financement chronique. Et pour cause : ils paient des droits de scolarité cinq fois plus élevés, en moyenne, que leurs camarades de classe canadiens.

À l’échelle du pays, ça représente plusieurs milliards de dollars. L’Association des universités canadiennes a d’ailleurs prévenu la semaine dernière que l’imposition d’un plafond risquait de mener des établissements à la ruine.

Plus encore que les étudiants internationaux, les travailleurs étrangers temporaires se sont longtemps retrouvés dans l’angle mort des débats sur l’immigration au Québec. Alors que le gouvernement Legault fermait publiquement la porte à des seuils qu’il qualifiait de « suicidaires », il laissait entrer des centaines de milliers de travailleurs, discrètement, par la porte d’en arrière.

Parce que le Québec en a besoin, de ces travailleurs. Il en est carrément devenu dépendant.

C’était évident, lundi encore, dans un reportage du Journal de Montréal. « Aux quatre coins du Québec, nos entreprises à bout de souffle sont devenues accros aux travailleurs étrangers temporaires », aujourd’hui cinq fois plus nombreux qu’en 2021, pouvait-on y lire. D’un bout à l’autre de la province, les entrepreneurs interrogés étaient unanimes : ils n’ont pas le luxe de s’en passer.

Lisez l’article du Journal de Montréal

C’était encore plus évident, il y a quelques mois, dans Essentiels, un bouleversant documentaire offert sur le site de Télé-Québec. Une incursion dans la vie de ces milliers de travailleurs qui cueillent nos légumes, plument nos poulets, trient nos déchets, livrent nos marchandises, lavent nos parents…

Visionnez le documentaire Essentiels

Nos bras, comme on les appelait pendant la pandémie.

On ne s’en rend pas compte, ou enfin, pas assez, mais sans eux, c’est le cœur du Québec qui arrêterait de battre. Le secteur de l’agriculture serait entièrement paralysé. Des abattoirs, des entrepôts, des scieries, des résidences pour aînés fermeraient leurs portes…

Le documentaire de Sarah R. Champagne et Sonia Djelidi fait de durs constats : le Québec utilise ces travailleurs temporaires pour soulager une pénurie de main-d’œuvre endémique. Il les maintient dans la précarité en leur accordant des permis fermés, ce qui les rend terriblement vulnérables à l’exploitation. Il crée une sous-catégorie de travailleurs pour combler des emplois dont personne ne veut, au Québec. Tellement, que c’en est presque devenu un modèle d’affaires…

Le Conseil du patronat du Québec (CPQ) a raison de souligner que l’immigration n’est pas la seule cause de la crise du logement. Il y a d’autres facteurs, estime le CPQ, comme « le manque de productivité dans le secteur de la construction, les fluctuations économiques et les coûts de construction élevés ».

Lisez le constat du Conseil du patronat du Québec

Le CPQ fait valoir que la crise du logement frappe durement des régions éloignées comme la Gaspésie, où on ne retrouve pourtant pas la plus grande concentration d’immigrants au Québec. Pour régler la crise, il propose non pas de limiter l’immigration, essentielle à l’économie, mais de « concentrer les efforts sur la productivité de l’industrie de la construction ».

C’est sans doute une partie de la solution, mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ? Ces efforts ne doivent pas se limiter à l’industrie de la construction. Il faut se pencher sur la productivité de toutes les entreprises qui dépendent de plus en plus du labeur des étrangers.

Si ces entreprises avaient moins accès à cette économie parallèle, elles seraient bien forcées d’investir dans leur modernisation, en procédant par exemple à l’automatisation de leurs chaînes de production. Alors peut-être que le Québec deviendrait moins accro à ce qu’il faut bien appeler une sorte de cheap labor organisé.