La rentrée parlementaire revêt des airs de changement de cycle. Autant à Ottawa qu’à Québec, un parti de l’opposition prend la tête face à un gouvernement qui souffre de l’usure. Et cela se fait dans un contexte budgétaire devenu difficile.

Après huit ans au pouvoir, le gouvernement Trudeau est le plus usé, et le plus menacé aussi. Si des élections se déroulaient demain, les libéraux perdraient le pouvoir et la moitié de leurs sièges.

En 2015, Justin Trudeau répétait « j’ai un plan ! ». Maintenant, son équipe saisit toutes les occasions pour dire plutôt « il n’a pas de plan ». Il, c’est Pierre Poilievre.

En effet, le chef conservateur se mouille peu. Ce n’est toutefois pas inédit. Quand il est devenu chef libéral, M. Trudeau lui-même a pris son temps pour présenter ses valeurs et sa vision avant de la traduire, juste avant la campagne électorale, en propositions concrètes.

M. Poilievre martèle quatre priorités très simples : abolir la taxe carbone, construire plus de logements, équilibrer le budget et combattre le crime. Mais on ne gère pas le pays avec 15 mots.

Sur les finances publiques, il est au moins cohérent. Certes, il aurait été préférable d’équilibrer le budget en période de croissance économique, lors du premier mandat libéral. Mais c’est justement ce que les conservateurs réclamaient à l’époque.

Cela ne les dispense pas toutefois d’expliquer comment ils résorberaient aujourd’hui les déficits. Ils assurent ne pas vouloir éliminer les nouveaux programmes sociaux, comme les garderies et les soins dentaires. Alors comment feront-ils ? Ils souhaitent couper dans le gras.

On pourrait en effet économiser un peu avec les consultants externes comme ceux de McKinsey⁠1, mais on sera encore loin des 40 milliards requis pour atteindre le déficit zéro.

Abolir la Banque de l’infrastructure du Canada ? Cela donnera juste un chèque non récurrent. Quant au fiasco de l’application ArriveCan, le gaspillage de 54 millions est à la fois gênant et marginal face aux sommes à trouver. Les sources d’économie de M. Poilievre semblent surtout choisies pour rappeler les bourdes libérales.

M. Poilievre promet de construire plus de logements⁠2. Sa mesure phare : réduire le financement aux villes qui ne haussent pas de 15 % la construction, et récompenser celles qui performent.

Or, il le propose seulement pour les grandes municipalités. Aussi, en supprimant les frais de TPS sur les immeubles locatifs ayant des loyers inférieurs au marché, il alimenterait la bureaucratie qu’il dénonce. Et dans l’ensemble, le resserrement des dépenses réduira sa marge de manœuvre pour financer les nouvelles constructions.

Reste que les libéraux ne devraient pas trop miser sur ces critiques pointues. L’électorat tranche habituellement en fonction d’une question plus générale : faut-il changer de gouvernement ? Et les conservateurs apparaissent comme la seule formation ayant une chance de les remplacer.

Le Québec fait exception. Ici, les insatisfaits et les sceptiques ont une valeur refuge : le Bloc québécois, bien installé en première place, et prévisible dans sa défense des intérêts du Québec.

Pour la première fois, le gouvernement caquiste entame une session parlementaire en retard dans les sondages. Et l’écart est considérable. La firme Pallas lui accorde 21 % des intentions de vote, son pire résultat depuis 2016.

Comme M. Trudeau, M. Legault a hérité à son arrivée au pouvoir de finances publiques en ordre. Avec le ralentissement économique, les deux manquent maintenant de munitions pour faire bouger l’aiguille.

Les parallèles s’arrêtent toutefois ici. Les caquistes ont plus de temps devant eux avant la prochaine campagne, et leurs rivaux sont plus éparpillés.

Vrai, seul le Parti québécois a profité des mésaventures caquistes. Mais tout comme il a vite pris de l’altitude, il pourrait finir par redescendre.

Le chef péquiste, Paul St-Pierre Plamondon, n’est pas rendu à l’étape où on le presse de dévoiler son plan. Avec quatre députés et un modeste budget de recherche, le PQ ne peut pas se prononcer sur tous les sujets.

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Paul St-Pierre Plamondon, chef du Parti québécois

Tandis que les solidaires priorisent le logement et l’environnement et que les libéraux ciblent l’économie et la pénurie de main-d’œuvre, les péquistes choisissent un nombre limité d’enjeux très terre à terre, comme la dépendance aux écrans, tout en gardant le cap sur leur projet d’indépendance et sur l’identité québécoise.

Et l’économie ? Avec les dépenses qui augmentent et les prévisions de revenus qui diminuent, des choix difficiles se préparent. Mais si le ministre des Finances, Eric Girard, reporte le retour à l’équilibre budgétaire, il dégonflera le débat sur les finances publiques. Ce qui laissera plus d’attention pour le reste.

D’ici la fin de 2025, PSPP présentera son plan pour faire l’indépendance. S’il mène encore dans les sondages, le Québec reviendra dans un cycle qu’on croyait disparu.

En 2026, au terme d’un deuxième mandat, la CAQ ne pourra plus prétendre incarner le changement. Et avec les difficultés en santé et en éducation, son slogan « continuons » ne sera plus efficace. Elle sera alors tentée de s’inspirer à la fois du PLQ et du Bloc. En devenant un refuge pour les fédéralistes et les nationalistes qui ont peur d’un référendum.

C’est une position défensive. À une autre époque, M. Legault l’abhorrait. Mais elle pourrait être sa meilleure option, si cela l’intéresse, bien sûr.

On ignore où ces nouveaux cycles nous mèneront, mais ils sont bel et bien entamés.

1. Lisez sur les liens entre le gouvernement fédéral et McKinsey 2. Lisez sur le projet de loi conservateur en logement