Nos tribunaux seraient engloutis s’il fallait condamner les médias chaque fois qu’une carrière politique déraille à cause des réactions à une information.

Sans doute, Dominique Ollivier ne méritait pas le déferlement de haine qui s’est abattu sur elle.

Perdre le poste de numéro deux de la Ville de Montréal pour des notes de frais parfaitement légales et approuvées est une sanction qu’on peut juger exagérée, certainement injuste de son point de vue.

D’autres ont fait bien pire et ont survécu politiquement, parfois même triomphé. Après tout, elle n’a commis aucun crime dans sa fonction antérieure et n’a pas même été blâmée une seule fois par la vérificatrice générale.

Mais la défense « d’autres ont fait pire » ne fonctionne pas en cour municipale pour contester un excès de vitesse. À plus forte raison en politique, où l’on a rarement droit à la présomption d’innocence administrative. Ni à une défense pleine et entière de sa réputation devant l’opposition.

Car c’est la politique qui a congédié Mme Ollivier. Elle était devenue une nuisance à quelques semaines de la présentation (par elle) d’un budget prônant la rigueur dans les dépenses et l’inflation dans la taxation.

Mauvais timing…

Voir la conseillère municipale réclamer 1,6 million aux médias de Québecor et aux journalistes qui ont dévoilé au public ses dépenses à l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) est donc un peu fort de café.

Le Journal de Montréal et TVA ont exposé une série de dépenses juteuses de l’organisme et de ses dirigeants. Dont Mme Ollivier, qui a présidé l’OCPM de 2014 à 2021, quand elle a été élue à l’hôtel de ville de Montréal, où elle a été aussitôt nommée présidente du comité exécutif.

On peut chipoter sur les chiffres, se plaindre du traitement, de l’ampleur donnée au « scandale », mais les faits exposés sont essentiellement vrais.

Personne n’a dit qu’elle avait commis une fraude. Mais il est ressorti des divers reportages une impression – une conviction, en fait – de grande légèreté dans la gestion des fonds publics à l’OCPM : nombreux repas au restaurant, voyages fréquents à l’étranger, etc.

« Je n’ai pas volé, je n’ai pas fraudé », a dit Mme Ollivier pour se défendre, l’automne dernier. C’est vrai.

Vrai aussi, c’est sous sa successeure Isabelle Beaulieu qu’on a dénombré 77 sorties Chez Alexandre et l’achat d’écouteurs à 900 $ et de billets de hockey. Des gens qui pensent et dépensent « en dehors de la boîte ».

Pendant quelques jours, on a d’ailleurs assisté à un renvoi de responsabilités entre les deux ex-patronnes de l’OCPM. Mme Ollivier blâmant le laxisme de sa successeure et Mme Beaulieu disant que c’était le bordel quand elle est arrivée en poste. Toutes deux s’entendaient cependant sur une chose : il manquait de rigueur budgétaire dans cet organisme vaporeux qui coûte 3 millions par année. Dommage qu’elles ne se soient pas manifestées plus tôt…

C’est tellement vrai que Mme Beaulieu a été destituée pour « faute grave » par le conseil municipal. L’organisme a du même coup été mis sous tutelle. Étant donné ce qu’on fait du résultat de ses consultations, on pourrait aussi bien l’abolir, mais il faudrait peut-être consulter à ce sujet, et comme ce sont eux, les experts en consultation, va savoir comment ça finirait.

Une chose est cependant officielle : on ne regardait pas trop à la dépense, ni à la pertinence.

Difficile de prétendre que ces reportages n’étaient pas d’intérêt public. Difficile aussi de voir ce qui serait carrément une « fausse information », comme l’affirme la poursuite, sans trop de détails.

Dans sa poursuite, Mme Ollivier défend non seulement la légalité, mais aussi la légitimité de toutes ces dépenses. Il était accepté, par exemple, qu’on récompense un employé pour son travail exceptionnel : d’où le repas aux huîtres.

Sur le budget de 7 milliards de la Ville, un souper aux huîtres à 347 $, c’est une goutte pas si salée dans un océan où l’on construit un refuge animalier. Si l’on fouillait toutes les notes de frais de tous les cadres, ce serait le carnaval.

La mairesse Valérie Plante a défendu un temps Mme Ollivier : tout était légal, approuvé, vérifié. Il y a donc une sorte d’hypocrisie à la congédier, et à virer sa successeure, dans une administration où on s’en permet. Une technique comme une autre pour purger sa mauvaise conscience administrative.

En un sens, Dominique Ollivier a donc payé pour plein d’administrateurs dépensiers impénitents et impunis qu’on n’inquiétera jamais.

Mais ce ne sont pas les journalistes qu’elle devrait blâmer ; ils ont désinfecté un petit bout de cette Ville pas super bien gérée.

C’est le bureau de la mairesse qui l’a jetée par-dessus bord, de peur de couler avec elle. Les mêmes qui l’ont choisie pour gérer la Ville, et qui l’ont défendue deux, trois jours, jusqu’à ce que ça devienne trop coûteux.

Comme on dit à la cour : le tribunal appréciera.