Le problème ? Le Canada est brisé.

Le coupable ? « Justin. »

La solution ? Le gros bon sens.

Ce diagnostic, Pierre Poilievre l’a répété mardi au port de Montréal pour s’inquiéter des vols de voitures, qui ont bondi de 50 % au Québec depuis 2022. À peine cinq agents inspectent les conteneurs, et ils ne disposent que d’un scanneur à rayons X. Le chef conservateur voudrait rendre ces agents plus nombreux et mieux outillés.

Pendant ce temps, à Ottawa, un trio de ministres, comme c’est souvent le cas, pilotait une conférence de presse moins brinquebalante. Ils ont tenté un succès souvenir – si l’Agence des services frontaliers du Canada manque de moyens, c’est notamment à cause de compressions de Stephen Harper. D’autres mesures pourraient être annoncées à la suite du sommet sur le vol de véhicules, ce jeudi.

Dans ce dossier comme dans les autres, le gouvernement libéral a trouvé une réplique au gros bon sens conservateur. « Les problèmes complexes requièrent des solutions complexes », a dit la présidente du Conseil du Trésor, Anita Anand.

Les électeurs risquent plutôt de retenir ce message implicite : ça ne changera pas vite. Et plus ils sont insatisfaits de l’état actuel des choses, plus cette lenteur les incitera à aller voir ailleurs.

Les libéraux s’empressent donc d’ajouter que M. Poilievre n’aurait pas de plan détaillé. Rien d’étonnant : il est dans l’opposition. Tôt ou tard, la prochaine campagne électorale arrivera et il dévoilera une plateforme.

En 2015, les libéraux misaient sur l’optimisme. Rendus à leur troisième mandat, cette carte est usée. Celle du réalisme ne s’annonce pas très vendeuse non plus. Ils risquent de se rabattre aussi sur une autre stratégie éprouvée : la peur.

C’est justement à cela que sert le slogan de M. Poilievre. Il évite autant que possible les sujets qui divisent la famille conservatrice et qui rebutent les électeurs modérés. « Gros bon sens » est un synonyme de pragmatisme. Son message : je ne suis pas un idéologue.

Stephen Harper avait recouru à la même stratégie en 2006, avec cinq priorités terre-à-terre, pour prendre le pouvoir malgré les publicités négatives libérales.

M. Poilievre a aussi vu comment l’avortement a fait dérailler la campagne d’Andrew Scheer en 2019. Il veut coller aux dossiers économiques comme la crise du logement. Et il cherche à transformer les vols de véhicules en enjeu politique, alors que cela relève plutôt des opérations policières.

C’est dans ce contexte qu’arrive à Ottawa une ennemie très utile pour les libéraux : Danielle Smith, première ministre de l’Alberta. Lundi, elle y a inauguré un bureau pour défendre les intérêts de sa province dans la capitale fédérale.

PHOTO SEAN KILPATRICK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

La première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, en conférence de presse à Ottawa, lundi

La stratégie libérale ressemble à ceci : enregistrer ce que Mme Smith dit, faire un petit montage vidéo et y ajouter le visage de M. Poilievre…

Mme Smith veut limiter l’accès aux interventions médicales de transition chez les mineurs et permettre aux parents de refuser que leur enfant change de pronom ou suive un cours d’éducation sexuelle. Le détail du projet de loi n’est pas encore connu, mais les libéraux ont sauté sur l’occasion pour en faire un combat symbolique et y associer Pierre Poilievre.

Dans les derniers mois, M. Poilievre s’en tenait à distance. Aux provinces de gérer la santé et l’éducation, disait-il. Il a finalement affirmé mercredi que lui s’opposait aux bloqueurs hormonaux pour les mineurs.

Pour d’autres enjeux, Mme Smith donne de meilleures munitions aux libéraux.

Il y a deux semaines, elle était une invitée de la conférence du polémiste américain Tucker Carlson à Calgary. L’ex-animateur de Fox News y a dit que la politique d’immigration canadienne était « une destruction de vous, votre culture, vos croyances et vos enfants et votre avenir ». La première ministre est ensuite montée sur la scène pour une interview en territoire amical. Elle a proposé à M. Carlson de mettre Steven Guilbeault, ministre « zélote » de l’Environnement, « dans sa ligne de mire » (« in your crosshairs »).

PHOTO TIRÉE DU COMPTE X DE DANIELLE SMITH

La première ministre Danielle Smith a partagé la scène avec l’auteur Jordan Peterson, l’animateur Tucker Carlson et l’homme d’affaires Conrad Black dans le cadre d’une conférence organisée à Calgary, en janvier.

Mme Smith n’a pas formulé cette demande à n’importe qui. M. Carlson a déjà suggéré que les États-Unis devraient envahir le Canada et il était un propagateur enthousiaste du mensonge de la fraude électorale anti-Donald Trump, qui a mené à l’attaque contre le Capitole.

Après son évènement avec Mme Smith, il s’est envolé pour interviewer Vladimir Poutine. M. Carlson a appuyé l’invasion de l’Ukraine et a qualifié Volodymyr Zelensky de « rat ».

Sans aller jusque-là, des républicains se désolidarisent de plus en plus de l’Ukraine, et ce courant a traversé la frontière. Selon un nouveau sondage Angus Reid, 10 % des libéraux et 12 % des néo-démocrates trouvent désormais que le Canada en fait trop pour l’Ukraine. Chez les conservateurs, ils sont 43 % à le croire⁠1.

M. Poilievre veut leur plaire. Il mène une étonnante croisade contre le traité de libre-échange entre le Canada et l’Ukraine, sous prétexte qu’il tarifierait le carbone – en fait, le peuple ukrainien avait déjà librement choisi de le faire.

Historiquement, les bleus ont pourtant été les plus farouches adversaires de la Russie. Mais c’est le propre de l’idéologie : on arrange les faits pour arriver à la conclusion voulue.

Cette obsession anti-écologique et ce flirt avec les émules canadiens de cette nouvelle droite ne passent pas inaperçus chez les libéraux.

Ils notent aussi que M. Poilievre laisse sa députée Leslyn Lewis parrainer une pétition réclamant rien de moins que l’abolition de l’ONU, une idée populaire au sein des sympathisants de Tucker Carlson. Quand l’inspiration leur manquera, ils se tourneront vers ces égarements. Ce sera plus vendeur pour eux que de répéter que les véritables solutions sont « compliquées ».

1. Consultez le sondage Angus Reid (en anglais)