Par la porte d’en arrière, la tolérance québécoise face à l’alcool au volant s’est imposée dans les manchettes à la faveur d’une autre histoire de citoyens qui ont dû payer 100 $ pour le privilège de parler à une ministre.

Antoine Bittar et Elizabeth Rivera ont perdu leur fille à cause d’un ivrogne récidiviste du volant. Depuis, pour donner un semblant de sens à ce drame, ils militent pour que le Québec impose des « mesures administratives » dès 0,05 mg.

C’est ce couple qui a mis la Coalition avenir Québec sur la sellette la semaine passée en révélant qu’il avait été invité à rencontrer la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, moyennant une contribution politique de 100 $ au parti gouvernemental…

Mais attardons-nous au fond des choses, discutons un peu de ce que conteste le couple Bittar-Rivera : l’exception québécoise en matière d’alcool au volant.

La limite de 0,08 relève du Code criminel, donc du fédéral. Au-delà de cette limite, vous êtes passible de poursuites criminelles. Quel est donc ce débat sur les mesures administratives, au-delà de 0,05 ?

Il relève des provinces. En fait, il n’y a pas vraiment de « débat » à l’échelle canadienne : ce débat est réglé. Toutes les provinces canadiennes imposent des pénalités aux automobilistes pincés avec plus de 0,05 mg d’alcool dans le sang : suspensions de permis, mise en fourrière du véhicule.

Toutes les provinces… sauf le Québec.

Le dernier « débat » a eu lieu il y a près d’une vingtaine d’années quand les libéraux étaient au pouvoir.

Une bonne levée de boucliers des bars et des restaurants avait tué dans l’œuf l’idée de mesures administratives à 0,05 mg : l’État, accusait-on, allait tuer le fun et toute l’industrie du plaisir…

Le Québécois a pu continuer à conduire un peu chaud sans crainte d’être inquiété.

En ce début d’année 2024, la ministre Geneviève Guilbault pilote une refonte législative pour améliorer le bilan québécois en matière de sécurité routière. Les ambitions sont costaudes, à la hauteur de la dégradation du bilan routier.

Mais la ministre n’a montré aucune intention jusqu’ici de forcer les Québécois à conduire moins chauds. À mon micro, il y a quelques mois, elle avait été très claire là-dessus : Québec n’a pas l’intention d’imiter les autres provinces et de sonner les cloches des automobilistes dès qu’ils franchissent la barre du 0,05.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable, pilote en ce début d'année une refonte législative pour améliorer le bilan de la province en matière de sécurité routière.

Je dis « conduire un peu chaud » à dessein. Le seuil de 0,08 envoie un drôle de signal : sous cette barre, on serait à jeun, parfaitement apte à conduire. C’est complètement faux.

Je cite l’Institut national de santé publique du Québec⁠1 : « Selon plusieurs études, conduire avec une alcoolémie aussi basse que 50 mg/100 ml augmente significativement le risque de collision mortelle. Selon une étude québécoise, conduire avec une alcoolémie variant entre 51 et 80 mg d’alcool par 100 ml de sang augmente d’environ quatre fois le risque de collision mortelle. Le risque de collision mortelle s’accroît de manière exponentielle au fur et à mesure que l’alcoolémie augmente… »

Ce constat n’est même pas controversé. Tout un pan d’études depuis des décennies le démontre : même un peu chaud, on fait des erreurs de conduite qu’on ne ferait pas à jeun.

C’est sans doute pourquoi, en Occident, c’est la règle du 0,05⁠2 qui fixe le seuil de la criminalisation de l’alcool au volant. Australie, Autriche, Danemark, France, Finlande, Allemagne, Italie, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Espagne, Suisse : tous ces pays ont une limite maximale de 0,05.

Le Japon : 0,03. La Suède : 0,02 !

Bref, là-dessus, le Canada se distingue dans le monde industrialisé avec une tolérance extrême, à 0,08. Les provinces ont agi pour compenser cette tolérance extrême du fédéral qui, là-dessus comme en tant de matières, plane à 30 000 pieds au-dessus du réel.

Les provinces ont donc agi… Mais pas le Québec.

Je ne sais pas à quoi tient ce manque de courage politique. Sans doute au désir de ne pas entraver la proverbiale joie de vivre des Québécois. Ce courage politique n’a pourtant pas manqué face au tabagisme.

Bref, même si dans son ensemble, la réforme de Mme Guilbault ne manque pas d’ambitions, là-dessus, elle en manque : la ministre ne veut surtout pas entraver le droit inaliénable des Québécois à conduire un peu chauds.

J’espérais que le couple Bittar-Rivera réussirait à relancer ce débat pour que le Québec entre dans la modernité en matière de conduite en état d’ébriété. Mais les députés de la CAQ ont opté pour être aussi pleutres que les libéraux de 2007 et de 2010, comme le rapporte Tommy Chouinard.

Après ça, les caquistes s’offusqueront de se faire décrire comme des mononcles… Permettre aux Québécois de conduire un peu plus chauds que leurs voisins sans se faire embêter : c’est vraiment une décision qui va plaire aux mononcles.

1. Consultez le site de l’INSPQ 2. Consultez le site de l’OMS