Quand il a pris des notes au sujet de son passage au ministère de la Justice, après sa démission, en avril 2004, Me Marc Bellemare s'est servi d'un stylo différent pour relever tout ce qui se trouve, sept ans plus tard, sous la loupe de la commission Bastarache.

C'est cette singulière coïncidence que devra expliquer Me Bellemare, invité à retourner témoigner jeudi devant la commission d'enquête sur le processus de nomination des juges. La commission Bastarache bascule ce matin dans la science moléculaire de l'encre de stylo-bille.

Un rapport attendu

La commission doit entendre Luc Brazeau, analyste judiciaire de la Direction des travaux scientifiques de l'Agence des services frontaliers du Canada. M. Brazeau a eu à expertiser le fameux carton, un dos de bloc à écrire où Me Bellemare avait pris des notes chez lui durant un match de hockey, le soir de sa démission, le 27 avril 2004.

Devant la commission, Me Bellemare a souligné qu'il avait complété ces notes dans les jours suivants et qu'il avait relégué le carton dans un tiroir.

Le rapport de l'expert, spécialisé dans la spectrographie des encres de stylo-bille, n'a pas été rendu public, mardi. Mais, selon ce qu'a pu apprendre La Presse, M. Brazeau établira que les trois lignes pertinentes au mandat de la Commission ont été écrites avec un autre stylo que le reste du texte.

C'est le cas par exemple de la note écrite en style télégraphique, «FF et CR pressions ++ C Q», qui signifiait, selon le témoignage de Me Bellemare: «Franco Fava et Charles Rondeau exercent beaucoup de pressions pour la Cour du Québec.»

La ligne parlant de «cash» (Marc Bellemare voulait noter qu'il avait été témoin d'échange de billets de banque entre M. Fava et un permanent du parti) est elle aussi écrite avec une autre encre que le reste du document.

Spécialiste de l'encre

Toutefois, M. Brazeau ne pourra préciser quand ces notes ont été prises. L'expert est l'auteur de quelques études extrêmement techniques dont les résumés se trouvent sur l'internet. Il est spécialisé dans l'encre de stylo-bille, qu'il scrute par «microextraction», par «chromatographie gazeuse» ou par «spectrométrie de masse».

Il peut par exemple dater la rédaction d'une note si elle a moins de deux ans, période durant laquelle les traces de solvants qui se trouvent dans l'encre peuvent être mesurées.

Dans le cas des notes de Marc Bellemare, l'expert n'a pu altérer l'original et n'a pu dater précisément sa rédaction. En revanche, il a pu observer scientifiquement que l'encre des trois lignes de notes pertinentes aux travaux de la Commission, et ces trois lignes seulement, est d'une «luminescence» différente.

La décision du procureur de la commission, Giuseppe Battista, de braquer les projecteurs sur ce rapport à ce moment-ci est un pari risqué. On ramènera Marc Bellemare à la barre demain; il aura alors la possibilité d'expliquer ces notes, mais aussi de répliquer à l'ensemble des témoins qui, depuis le début de la semaine, ont réfuté ses allégations.

Me Bellemare avait déjà expliqué qu'il n'avait pas rédigé son document d'un seul jet. Curieusement, alors que, selon ses collaborateurs, il prenait des notes de façon «prolifique» quand il était ministre, ces quelques lignes en style télégraphique sont les seules traces qui évoquent les «pressions colossales» dont il dit avoir été l'objet pour la nomination des juges.

Devant l'intérêt porté subitement à ce témoignage d'expert mardi, le porte-parole de la commission, Guy Versailles, s'est employé à en minimiser l'importance.