Après un mois d'audiences télévisées, les témoignages contradictoires de Jean Charest et de Marc Bellemare, la commission Bastarache n'a pas chambardé l'opinion publique. La très grande majorité des Québécois croient davantage l'ancien responsable de la Justice que le premier ministre.

Quand on leur demande après un mois d'audiences publiques «de M. Bellemare ou de M. Charest, qui seriez-vous le plus tenté de croire?», les répondants se montrent toujours massivement en faveur de l'ex-ministre Bellemare. Ainsi, 51% croient l'avocat de Québec tandis que 17% des gens prêtent plutôt foi aux dénégations de M. Charest dans la controverse sur la nomination des juges. Un répondant sur quatre - 24% - avoue ne croire «ni l'un ni l'autre», et 8% se disent indécis.

Vendredi soir, à l'issue du témoignage de Jean Charest, Opinion Publique Angus Reid a lancé un coup de sonde terminé dimanche matin. Au total, 804 personnes ont été jointes sur l'internet, une enquête dont la marge d'erreur est de 3,46 points de pourcentage.

Si on observe l'opinion sur une plus longue période, toutefois, on constate que les appuis de Marc Bellemare ont diminué avec le temps tandis que l'étoile de Jean Charest s'est améliorée. Le coup de sonde du mois d'avril de cette maison de sondage montrait que 58% des gens prêtaient foi aux allégations que venait de faire Me Bellemare, tandis que seulement 11% des gens croyaient aux démentis opposés par M. Charest. L'écart s'est encore rétréci modestement en août; 53% des gens penchaient pour la version Bellemare et Jean Charest obtenait 12% d'appuis.

Donc, depuis le printemps, Marc Bellemare a vu ses appuis diminuer de 58 à 51% tandis que ceux de Jean Charest ont augmenté de 11 à 17%. L'écart s'est rétréci mais reste énorme.

Dans son témoignage devant la commission Bastarache, Jean Charest est loin d'avoir convaincu les Québécois. Seulement 15% des gens estiment Jean Charest «plus crédible» après sa déposition de jeudi et vendredi. En revanche, 27%, presque deux fois plus, le jugent «moins crédible» et 43% des gens estiment que son témoignage n'a rien changé. Ici, 37% de ceux qui votent pour les libéraux pensent que le premier ministre est ressorti gagnant de l'exercice.

Selon le vice-président de la maison de sondage, Jaideep Mukerji, force est de constater qu'après tous ces témoignages, alors que seul l'ancien fonctionnaire Georges Lalande est venu corroborer ses dires, Marc Bellemare paraît toujours beaucoup plus crédible que Jean Charest.

Il est vrai qu'on voit une évolution dans le temps, l'écart s'amenuise. «Mais cela prendrait quelque chose de vraiment surprenant pour renverser les choses», estime le spécialiste qui doute que les conclusions du juge Bastarache, attendues à la fin du mois de janvier, puissent changer les perceptions.

Un peu de baume pour Jean Charest cependant: désormais, 43% de ceux qui ont voté pour le Parti libéral en 2008 ont adopté sa version - il ne s'en trouvait que 30% en août, avant le début des travaux de la Commission.

Dans la même veine, quand on leur demande si, après les audiences, les gens croient «davantage, autant ou moins» les allégations de Me Bellemare, 18% affirment y prêter foi davantage, mais 23% lui font moins confiance. Pour 38% des répondants, les audiences n'ont pas changé leur appréciation de la crédibilité de l'ancien ministre. Parmi les électeurs libéraux, 53% des répondants croient moins M. Bellemare et 11% lui accordent désormais plus de crédibilité.

S'il y a un perdant dans les travaux de la Commission, c'est le système judiciaire québécois. Pas moins de 41% des gens soutiennent que leur confiance a diminué depuis le début de la Commission, seulement 26% sont désormais réconfortés par l'intégrité du système de justice.

«Après qu'on eut parlé de la commission Bastarache», on a suscité des inquiétudes, constate M. Mukerji.

Car, fait à noter, les réponses à une question sur l'intégrité des juges au début du questionnaire montrent beaucoup plus de confiance. Ainsi, les magistrats ont un «rendement bon ou excellent» selon 66% des répondants - le même niveau qu'en août. C'est moins bien que les médecins ou les policiers, dont la cote est respectivement de 89% et 80%, mais bien meilleur que les politiciens, qui ne trouvent qu'une personne sur cinq, 20%, pour approuver leur travail.

Mais le cynisme a ses limites. Quand on demande si des changements au mode de financement des partis politiques peuvent réduire les risques de trafic d'influence dans le choix des magistrats, deux Québécois sur trois répondent oui. Une personne sur quatre croit le système irrémédiablement corrompu.