Les journalistes retenaient leur souffle. Marc Bellemare déballait enfin son sac, parlait en détail d'une réunion avec son patron, Jean Charest. C'est là, devant un Perrier, qu'il lui aurait révélé les «pressions colossales» exercées par Franco Fava pour faire nommer ses amis à la magistrature.

On avait l'impression que l'avocat de Québec avait tout mis dans ce témoignage, le coup d'envoi des audiences publiques de la Commission. Astucieux, il était le seul à avoir refusé de rencontrer les procureurs de la Commission durant l'été. Pas question de télégraphier ses coups à l'adversaire.

Devant les révélations bien tardives de Me Bellemare, les procureurs de la commission Bastarache, qui avaient avancé à tâtons dans leurs entrevues pendant tout l'été, ont tout à coup compris qu'ils avaient travaillé pour rien.

Le lendemain, la suite de l'interrogatoire du procureur en chef, Giuseppe Battista, s'annonçait plus ardue pour Bellemare le tacticien. L'ancien ministre n'avait retrouvé, comme seule trace de ces tête-à-tête éprouvants avec les bailleurs de fonds du PLQ, qu'un carton couvert de gribouillis hermétiques.

Mais c'était sans compter sur sa capacité de rebondir. Il avait sciemment gardé une carte dans sa manche.

Sans hésiter, il a laissé tomber une autre de ses révélations assassines, de celles qui vont tout droit dans les manchettes des journaux.

Le jour de sa démission, un Jean Charest «très nerveux» l'aurait prévenu: «Tu sais que tu as un serment ministériel. Fava, Rondeau, les juges, l'argent, ça n'existe pas. Tu n'as pas le droit de parler de ça, tu as un serment!»

Un coup d'avance

Depuis le début des audiences de la commission Bastarache, Marc Bellemare a toujours un coup d'avance sur ses adversaires, une brochette d'avocats, de grosses pointures, qui représentent le gouvernement, le Parti libéral et le premier ministre.

Le tout dernier rebondissement, la découverte in extremis d'une pièce providentielle - une disquette contenant son agenda de ministre, qui lui faisait cruellement défaut jusqu'ici -, est tombé à point nommé.

Convaincu qu'il ne pourrait être contredit, Jean Charest a soutenu sans appel que la fameuse réunion du 2 septembre n'avait «jamais eu lieu». La disquette montre au contraire qu'elle était prévue au cabinet de Marc Bellemare. En dépit de bien des dénégations, la thèse de Marc Bellemare domine toujours clairement dans l'opinion publique, selon les sondages. La stratégie de l'ex-ministre semble avoir permis de faire oublier bien des témoins qui l'ont carrément contredit.

Déjà, les experts chuchotent qu'on ne peut, dans les ministères à Québec, extraire ainsi une copie de l'agenda du ministre et que, en tout état de cause, une disquette n'a pas la capacité nécessaire pour contenir un tel fichier.

La pièce centrale sera amenée par une messagère au-dessus de tout soupçon. C'est Lu Chang Khuong, la femme de Me Bellemare, qui a trouvé la disquette au fond d'une boîte de souvenirs. Me Khuong est élue par ses pairs bâtonnière pour le district de Québec. Elle témoignera la semaine prochaine, mais, dès hier, le porte-parole du Barreau, Me Pierre Bourque l'a décrétée intouchable, d'une crédibilité blindée.

Coups savamment calculés

Ce coup de théâtre n'est que le dernier d'une longue série de cartes stratégiquement abattues par Marc Bellemare, des coups toujours savamment calculés. Parfois, il passe à l'attaque; parfois, il fait oublier les coups assénés par les adversaires.

Par exemple, après les témoignages dévastateurs de ses anciens collaborateurs et de hauts fonctionnaires qui, deux jours durant, l'ont décrit comme ombrageux et brouillon, le témoin-vedette décide de reprendre les médias d'assaut.

Il y va alors d'une sortie percutante sur le «cirque pitoyable» de la Commission et taxe de «complaisance» le commissaire Bastarache, un juriste qui a tout de même siégé au plus haut tribunal du pays.

Les initiés connaissent la manoeuvre: il s'agit d'«écraser la nouvelle». Si un reportage qui tourne en boucle sur les chaînes d'information continue vous égratigne, vous pouvez l'éjecter si vous y allez d'une déclaration si percutante qu'elle devient incontournable. Ce jour-là, Marc Bellemare avait décidé d'être ce joueur de curling qui, d'une pierre puissante, nettoie toute la glace.

Une autre carte, un coup magistral celui-là, quasi machiavélique: Marc Bellemare avait en poche, depuis la mi-juillet, l'interrogatoire préalable de Jean Charest dans une tout autre partie - la poursuite au civil pour libelle. Jean Charest y avouait ne pas se souvenir de quoi que ce soit. C'était prévisible, Marc Bellemare n'avait pas encore témoigné.

Quelques pages choisies de cet entretien, devenu embarrassant pour M. Charest, ont été rendues publiques, ajoutées à sa poursuite au palais de justice. Ses adversaires ne l'ont jamais vu venir. Un coup inattendu, comme si Marc Bellemare pouvait jouer sur deux échiquiers à la fois.

Ceux qui ont côtoyé Marc Bellemare quand il jouait les Don Quichotte et ferraillait avec le gouvernement ne sont pas surpris. Informations distillées à l'oreille des journalistes, sorties percutantes et témoins providentiels à l'appui de ses causes; Marc Bellemare faisait tourner en bourriques tous les ministres des Transports qui s'étaient, successivement, opposés à l'abolition du no fault.

Il a la même obsession. Elle a ruiné sa vie politique. Il montre la même habileté, même s'il joue désormais dans une tout autre ligue.

Après avoir mis en doute la légitimité de la magistrature, l'avocat Marc Bellemare aura peut-être, désormais, des problèmes à se présenter devant un juge. Il a toutefois un bien meilleur avenir comme stratège en communications.