La population croit que le système de nomination des juges «n'est pas tout à fait étanche». C'est la constatation qu'a faite le commissaire Michel Bastarache, mercredi, au terme de la première partie de son mandat: entendre les témoins pour tirer au clair les allégations de l'ancien ministre Marc Bellemare.

Au moment de tirer un trait sur ces audiences, l'ancien juge de la Cour suprême a souligné que la suite de ses travaux serait probablement plus importante pour l'avenir.

La Commission entendra à compter de la semaine prochaine des experts pour évaluer si le processus de nomination des magistrats doit être modifié. «On est conscient que beaucoup de gens pensent que le système n'est pas tout à fait étanche», a résumé le commissaire Bastarache dans une brève intervention à la clôture des témoignages. «Même si personne ne doute de la compétence de nos juges, le système est perfectible.»

Après deux jours de plaidoiries et huit semaines d'audiences, la Commission se trouve devant des interprétations diamétralement opposées du règlement qui doit baliser la nomination des magistrats, observe-t-il.

Deux interprétations

Selon le gouvernement, seule la sélection des candidats à la magistrature est étroitement réglementée. Une fois établie la liste des candidats retenus, le ministre de la Justice a la possibilité de consulter le premier ministre ou même ses collègues sur le choix à faire.

La Commission a même constaté que, sous l'actuelle administration, le premier ministre a accès à la liste des candidats jugés acceptables et que son adjointe aux nominations, Chantal Landry, peut même lui préciser l'allégeance politique de ces derniers.

Le procureur de Marc Bellemare, Me Jean-François Bertrand, estime que seul le ministre de la Justice a le pouvoir de nommer les juges. Il doit exercer cette prérogative sans consulter d'autres membres de l'exécutif.

Les anciens ministres qu'a entendus la commission ont témoigné de ce large spectre. Linda Goupil, titulaire de la Justice sous Lucien Bouchard, estimait qu'elle devait décider seule des nominations. Kathleen Weil, ministre libérale, estimait au contraire qu'elle devait consulter le premier ministre pour ne pas faire de choix à l'aveuglette.

Clairement peu enthousiaste à l'idée de trancher entre les versions de Marc Bellemare et de Jean Charest, M. Bastarache a souligné l'importance, pour l'avenir, du second volet de ses travaux sur le processus de nomination.

Plus tôt, l'avocate de la Conférence des juges, Chantale Châtelain, lui avait demandé expressément de préciser dans son rapport que rien, «pas un iota» de preuve, ne permet de mettre en doute l'impartialité, la compétence et l'indépendance des magistrats au Québec.

À cause des allégations de Marc Bellemare, «l'institution judiciaire et ses juges ont certainement été affaiblis, et cela n'a pas sa raison d'être. La Commission a le devoir de réparer cette situation et d'assurer aux justiciables qu'ils n'ont pas de raison de douter de la totale indépendance de la magistrature», a soutenu Me Châtelain.

Pour le Barreau, Me Pierre Bourque a soutenu que le processus de sélection des magistrats est «impeccable», d'une indépendance absolue. Mais il n'a pas voulu répondre quand un reporter lui a demandé s'il jugeait opportun qu'une employée du cabinet du premier ministre rappelle à son patron l'allégeance politique des candidats qu'on lui présente.

Auparavant, Mes André Ryan et André Dugas, procureurs de Jean Charest et du Parti libéral du Québec, s'étaient attaqués à la crédibilité de Marc Bellemare. Contradiction entre les souvenirs et les agendas, pensée «évolutive» où les versions se modifient avec le temps, les deux avocats ont méthodiquement fait la liste des éléments de la déposition de Me Bellemare qui sont, selon eux, contredits par les faits.

Supposés «confidents» de Me Bellemare, Michel Gagnon et Jacques Tétrault, ses principaux collaborateurs, «ont été longuement contre-interrogés» par les procureurs de Me Bellemare. Leur version n'a jamais changé: «Jamais leur ministre ne leur avait laissé entendre qu'il était la cible des pressions dont il a parlé», a relever Me Ryan.

Une vendetta

Pendant toute sa carrière, a dit Me Dugas, Me Bellemare a été un plaideur redoutable, un avocat très combatif, «presque un mâle alpha», a-t-il ironisé. «Et voilà qu'il serait devenu un petit mouton» devant Franco Fava, un collecteur de fonds du PLQ, qui lui ordonne des nominations auxquelles il s'oppose?

Me Bellemare «est frustré de ne pas avoir fait sa réforme» des tribunaux administratifs, estime Me Dugas. Il pourrait aussi être animé par le désir de prendre sa revanche à l'endroit de Franco Fava et de Charles Rondeau, qui ont refusé de participer au financement de sa campagne à la mairie de Québec, une aventure qui s'est avérée désastreuse.

Me Bellemare a soutenu qu'il en avait «ras le bol de l'industrie de la construction». Or, M. Fava en fait partie, a relevé l'avocat libéral. «Son motif? On ne le sait pas. Mais c'est une vendetta, c'est clair», a-t-il affirmé.

Hier, en point de presse, le leader parlementaire du PQ, Stéphane Bédard, a déploré «l'apparence de partialité» de la Commission et du commissaire Bastarache lui-même. Il prédit déjà ce que contiendra son rapport: «Il sera incapable de trancher pour l'une des deux versions. Il va dire que le règlement n'était pas assez clair.» Selon lui, l'exercice était vicié dès le départ: «De façon délibérée, la Commission s'est privée des faits les plus importants et les plus pertinents, soit tout l'historique des nominations avant 2003.» En réplique, la Commission a précisé hier que tous les premiers ministres en poste depuis 2000 avaient été invités à témoigner, qu'elle est satisfaite de ce qu'elle a appris et que multiplier les témoignages n'aurait pas été utile.

-Avec la collaboration de Paul Journet