Il faudra beaucoup de temps pour réparer les torts qu'a causés Marc Bellemare au gouvernement et aux juges avec ses accusations, a dit hier Jean Charest.

La thèse des «pressions colossales» que Marc Bellemare dit avoir subies de la part de libéraux influents pour la nomination de juges ne résiste pas à l'analyse, a soutenu sans détour le commissaire Michel Bastarache dans son rapport de 300 pages, résultat de 10 mois d'enquête.

Jean Charest, d'un ton grave, a soutenu qu'il avait été la première victime des allégations de son ancien ministre. «Cela a été l'année la plus difficile de ma vie sur le plan personnel», a-t-il dit. Les torts que son ancien ministre a causés aux réputations et au gouvernement «mettront beaucoup de temps à se réparer».

«Très habile avec les médias», Marc Bellemare «savait très bien que le gouvernement n'aurait pas le choix de déclencher une enquête pour laver tout doute sur l'intégrité du système judiciaire». Les 5 millions de fonds publics nécessaires aux travaux, «Marc Bellemare en est pleinement responsable», a dit M. Charest, qui n'a pas l'intention de retirer sa poursuite en diffamation contre l'ex-ministre.

Plus tôt, l'avocat du PLQ André Dugas avait pavoisé: «C'est un désastre pour Marc Bellemare. Il a créé un tsunami, lancé un pavé dans la mare et se retrouve aujourd'hui très mouillé.» Gérard Deltell, de l'ADQ, a relevé que le juge Bastarache avait tout de même conclu que le système de nomination des magistrats «est perméable à l'influence».

Québec solidaire a «favorablement» accueilli le rapport Bastarache, même s'il juge l'exercice «insuffisant». «Il n'y a vraiment rien dans le rapport qui permette au gouvernement de pavoiser», a affirmé le député Amir Khadir. «J'inviterais M. Charest à se ressaisir. La seule chose que la population attend de lui véritablement, c'est une commission d'enquête publique sur l'ensemble des allégations.»

L'ancien ministre Bellemare avait soutenu que Franco Fava et Charles Rondeau, deux financiers importants du PLQ, l'avaient poussé à nommer le fils d'un organisateur libéral de l'Outaouais, Marc Bisson, à un poste de magistrat. Ils étaient aussi intervenus pour obtenir la promotion du juge Michel Simard au poste de juge en chef adjoint à Québec. Franco Fava avait aussi, selon Me Bellemare, fait en sorte que Line Gosselin-Després, cousine de l'ex-ministre Michel Després, soit nommée au tribunal de la jeunesse.

Surtout, Marc Bellemare soutenait que Jean Charest lui-même lui avait ordonné de se plier à ces diktats lors d'une rencontre privée, le 2 septembre 2003.

«L'ensemble de la preuve documentaire et testimoniale n'appuie pas la prétention de Me Bellemare», estime Michel Bastarache dans ses conclusions.

En nommant Marc Bisson, Me Bellemare a agi «de façon volontaire et indépendante». «La preuve claire et convaincante» montre de plus que la promotion de Michel Simard au poste de juge en chef adjoint a été proposée par Marc Bellemare. «Ce n'est pas une décision prise sous la dictée d'un tiers.» Enfin, quant à la nomination de Me Line Gosselin-Després, la preuve «n'établit pas que Me Bellemare a été contraint d'agir à l'encontre de sa conscience et de ses opinions».

Moins d'interventions politiques

Michel Bastarache n'épargne toutefois pas le système de nomination des magistrats. Selon lui, il «ouvre la porte aux possibilités de favoritisme dans le choix des candidats». Le processus «opaque» «fait planer un doute sur la légitimité et l'indépendance des juges nommés», déplore-t-il.

Depuis 30 ans, le processus de nomination des juges «a bien servi le Québec», mais il est «devenu inadéquat» devant les attentes de plus en plus élevées en matière d'éthique et de transparence. «Le temps est venu de le revoir», observe le commissaire, qui fait 46 recommandations pour resserrer la formation des comités de sélection des magistrats.

L'Assemblée nationale devrait selon lui légiférer et faire un choix entre «deux conceptions légitimes». La première veut que le choix d'un juge relève exclusivement du titulaire de la Justice. C'était la pratique sous le PQ. L'autre voudrait que le premier ministre soit consulté. C'est la pratique sous le gouvernement Charest. Mais il faudrait alors, insiste Michel Bastarache, «que l'on encadre et limite le rôle du personnel politique».

La responsable des nominations, Chantal Landry, avait révélé à la Commission qu'elle indiquait l'allégeance politique des candidats sur leur curriculum vitae.

«Il n'y a rien de choquant à ce que les élus choisissent des gens qui partagent la même philosophie; ceci n'est pas la même chose que le copinage ou le népotisme», souligne le commissaire. L'engagement politique des candidats devrait être révélé au comité de sélection, mais il ne devrait «jamais favoriser ou défavoriser une candidature».

- Avec la collaboration de Daphné Cameron



* * *

Trois juges, trois décisions de Bellemare

> Marc Bisson, nommé juge à la Cour du Québec, district de Longueuil

Marc Bellemare soutenait avoir été l'objet de «pressions colossales» de la part de Franco Fava pour qu'il nomme cet avocat de Gatineau, fils d'un organisateur libéral.

Michel Bastarache a conclu que «la prétention selon laquelle la nomination du juge Bisson est le résultat de l'influence exercée par des tiers (...) n'est pas étayée par une preuve claire et convaincante». Me Bellemare «a agi de façon volontaire et indépendante».

> Le juge Michel Simard, promu juge en chef adjoint

L'ancien ministre Bellemare soutenait que Charles Rondeau, autre financier libéral, avait fait connaître l'intérêt de Simard. Son choix se serait plutôt porté sur un autre candidat, Claude Chicoine. Il soutient qu'on lui a forcé la main.

Selon le commissaire, la preuve «n'établit pas que le ministre Bellemare a été forcé de recommander le juge Simard». «Il ne s'agit pas d'une décision prise sous la dictée d'un tiers», conclut M. Bastarache.

> Line Gosselin-Després, nommée à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec

Marc Bellemare soutenait que Franco Fava avait exercé des pressions pour la nomination de cette candidate, parente d'un ministre libéral.

Le commissaire Bastarache a estimé que ces allégations ne tenaient pas. On ne peut conclure que des pressions des financiers du PLQ ont joué, et la preuve «n'établit pas que Me Bellemare a été contraint d'agir à l'encontre de ses propres conscience et opinion».