La Cour supérieure vient d'ordonner à la Gendarmerie royale du Canada (GRC) de remettre à la Commission Charbonneau tous les documents de l'opération antimafia Colisée qu'elle souhaite consulter.

La GRC s'était adressée à la Cour pour faire annuler une assignation à comparaître envoyée par la Commission Charbonneau, et qui réclamait un accès complet aux photos, aux vidéos et aux documents colligés pendant l'opération Colisée.

Un des mandats de la Commission, dirigée par la juge France Charbonneau, est d'enquêter sur l'infiltration du crime organisé dans l'industrie de la construction.

La Commission a réclamé d'avoir accès à toute l'information recueillie par l'opération Colisée, qui a visé la mafia italienne au Québec de 2002 à 2006. Pendant cette opération, les agents de la GRC ont photographié, filmé ou écouté des entrepreneurs en construction avec des membres de la mafia.

Au total, la GRC a intercepté 1,5 million de conversations et effectué plus de 1500 heures de vidéo. La Commission veut un accès total, mais en pratique, ses procureurs et ses enquêteurs ont fait savoir qu'ils réclament seulement ce qui les aidera à remplir leur mandat.

Dans son jugement écrit, remis ce matin, la juge Guylaine Beaugé rejette presque tous les arguments soulevés devant elle par les avocats de la GRC et du gouvernement canadien au cours du procès, qui s'est déroulée plus tôt ce mois-ci.

Les avocats de la GRC invoquaient notamment l'arrêt Keable, un jugement de la Cour Suprême rendu en 1979. À cette époque, une commission d'enquête provinciale, dirigée par le juge Jean Keable, avait été créée pour faire la lumière sur les agissements illégaux de la GRC en territoire québécois.

La Cour Suprême avait décrété qu'une commission d'enquête provinciale ne peut enquêter sur l'administration d'un organisme fédéral comme la GRC, ni contraindre un ministre fédéral à comparaître devant elle pour produire des documents.

« La GRC prête une portée trop large à (l'arrêt) Keable », écrit la juge Beaugé. D'une part, la Commission Charbonneau ne veut pas enquêter sur la gestion interne de la GRC. D'autre part, elle ne réclame pas la comparution d'un ministre fédéral.

La GRC se plaignait que la Commission Charbonneau convoitait tout son dossier d'enquête, sans viser des individus identifiables. Cet argument ne saurait tenir, tranche la juge. « La GRC sait depuis la remise du subpoena et de la lettre du procureur-chef de la Commission que cette dernière lui acheminera des demandes précises sur des personnes en particulier. Vouloir s'en tenir au libellé du subpoena renie le cadre informel et mutuellement respectueux » des échanges entre la GRC et la Commission.

La GRC plaidait que le Code criminel lui interdit de communiquer des interceptions radiotéléphoniques ou vidéos, sauf à d'autres corps policiers. Faux, rétorque la juge : la loi permet une telle communication à une Commission d'enquête.

Enfin, la juge rejette l'argument de la GRC qui « agite le spectre de la tâche ''incommensurable'', ''ingérable'' et ''à sa face même inutile'' qui l'attend dans l'hypothèse où le Tribunal lui ordonne de se conformer au subpoena », compte tenu du volume gigantesque des documents recueillis pendant l'opération Colisée.

« Cette objection s'avère irrecevable » pour plusieurs raisons, dit la juge. Par exemple, la GRC a admis qu'elle a déjà communiqué des vidéos et des milliers de conversations aux avocats des individus accusés après l'opération Colisée. La requête de la Commission Charbonneau est assez précis et permet à la GRC de faire le tri, dit la juge.

Enfin, Mme Beaugé cite un jugement de la Cour Suprême qui souligne le rôle important des commissions d'enquête:

« L'une des principales fonctions des commissions d'enquête est d'établir les faits. Elles sont souvent formées pour découvrir la vérité, en réaction au choc, au sentiment d'horreur, à la désillusion ou au scepticisme ressentis par la population... Elles peuvent remplir, et remplissent de fait, une fonction importante dans la société canadienne.

« Dans les périodes d'interrogation, de grande tension et d'inquiétude dans la population, elles fournissent un moyen d'informer les Canadiens sur le contexte d'un problème préoccupant pour la collectivité et de prendre part aux recommandations conçues pour y apporter une solution... Elles constituent un excellent moyen d'informer et d'éduquer les citoyens inquiets. »

La juge Beaugé souligne en terminant qu'elle « ne saurait mieux formuler la conclusion qui découle de son analyse ».