Chaque semaine, Nathalie Collard rencontre une personnalité qui s'est retrouvée au premier plan médiatique et lui pose 10 questions en lien avec la couverture dont elle a été l'objet. La 11e question provient du public. Cette semaine, notre journaliste s'est entretenue avec les porte-parole de la FEUQ, Martine Desjardins, et de la FECQ, Léo Bureau-Blouin. (Nous avons interviewé le porte-parole de la CLASSE, Gabriel Nadeau-Dubois, seul, le 17 mars dernier.)

1 Dans quel état d'esprit êtes-vous aujourd'hui (vendredi)?

Martine Desjardins: Préoccupée. On vit une crise et, au cours de la semaine, on est passés d'un état où on pensait que ça allait se régler à un effondrement total. Je suis préoccupée de voir comment on va résoudre ce conflit. Je trouve que c'est beaucoup de poids à porter pour nous trois.

Léo Bureau-Blouin: Il y a de l'inquiétude aussi. D'une semaine à l'autre, on se dit: cette semaine est la bonne. Je pense qu'on avait fait beaucoup de gestes d'ouverture pour avoir accès à la table de discussions et on a l'impression que les efforts de négociation du gouvernement sont des exercices de relations publiques plutôt qu'une volonté réelle d'en arriver à quelque chose.

2 Que répondez-vous à l'offre globale du premier ministre Charest?

LBB: C'est un peu dommage que le premier ministre négocie sur la place publique alors qu'on aurait aimé poursuivre les discussions. Hier matin, il ne s'adressait pas aux étudiants, mais à la population. On va prendre le temps de consulter nos membres, mais cette offre ne sera pas suffisante pour mettre un terme à la grève.

MD: C'est insultant et nettement insuffisant. La réponse de nos associations jusqu'ici est assez claire. Cette annonce a plutôt jeté de l'huile sur le feu.

3 Allez-vous présenter cette offre à vos membres?

MD: Les associations qui ont voté pour reconduire la grève hier l'ont fait avec une forte majorité. La proposition a plutôt provoqué plusieurs annonces de manifestations.

LBB: On a discuté avec certains de nos membres et les gens ont l'impression de se faire niaiser. On doit discuter davantage et sans doute que la proposition sera à l'ordre du jour dans les assemblées la semaine prochaine.

4 Espérez-vous retourner à la table de négociation?

LBB: On garde espoir. On continue à réfléchir à l'idée de médiation et l'ancienne juge Louise Otis, qui est médiatrice ainsi qu'une figure très connue au Québec, s'est montrée intéressée. Nous allons cheminer.

MD: Si la négociation reprend, il est clair qu'il faudra une médiation, car le premier ministre a fait la preuve hier qu'il ne nous entend pas.

5 Croyez-vous que Line Beauchamp puisse encore régler ce conflit?

MD: J'ai l'impression qu'elle en a tellement fait une affaire personnelle qu'elle a de la difficulté à prendre la distance nécessaire et à s'élever au-dessus de la masse. C'est franchement déplorable, car c'est quand même la ministre de l'Éducation. Ce débat sur la hausse des droits de scolarité est devenu un conflit d'ego et ça devient extrêmement difficile à gérer.

LBB: Je ne pense pas, je doute même que ce soit elle qui pilote ce dossier depuis quelques jours. C'est plutôt le premier ministre et son équipe et je doute de sa volonté à lui de le régler.

6 La CLASSE semble vouloir se radicaliser. Jusqu'où allez-vous être solidaires?

LBB: Pour nous, c'était important d'être solidaires lorsque la ministre a exclu la CLASSE parce qu'ils avaient répondu aux critères d'entrée pour faire partie de la discussion. On va réévaluer la situation chaque semaine, mais, pour l'instant, rien ne laisse présager de la part de la CLASSE des gestes d'une violence extrême ou des coups d'éclat qu'on ne pourrait tolérer.

MD: On a catégorisé la radicalisation du côté de la CLASSE, mais de notre côté aussi, on se radicalise. On est passés de manifestations pacifiques au blocage de bureaux, ce n'est pas banal. Je ne suis pas en train de dire qu'on va porter des coups d'éclat, mais c'est assez inhabituel pour la FEUQ d'encourager des gestes de la sorte. Le conflit s'étire et nos membres veulent une solution.

7 Certains voient la CLASSE comme un boulet à votre cheville, une association qui fait du chantage dans les coulisses afin que vous demeuriez solidaires. Que répondez-vous à cela?

MD: J'entends beaucoup dire que la CLASSE nous fait du chantage. Au contraire, jeudi, c'est la CLASSE qui nous a appelés pour nous dire: que peut-on faire? On s'est plutôt entraidés dans tout ça.

LBB: On veut éviter la stratégie de diviser pour régner. L'objectif d'une table de négociations, c'est d'arrêter la grève. Si on a la moitié ou à peu près des étudiants qui ne suivent pas parce qu'ils ne se sentent pas représentés dans le dossier, on n'est pas plus avancés. L'idée, c'est que toutes les associations étudiantes se sentent à l'aise. On essaie de se tenir ensemble même si ce n'est pas toujours facile.

8 Avez-vous l'impression que le gouvernement s'est servi de vous pour marquer des points en vue de prochaines élections?

MD: Clairement. Au début, ce n'était pas aussi évident, mais là, assurément. Le conflit dure depuis 11 semaines et le gouvernement en tire profit dans les sondages. Il fait de la petite politique sur le dos des jeunes.

LBB: Le conflit lui permet d'aller marquer des points dans des électorats très ciblés pour se faire réélire. Quand ils a exclu la CLASSE cette semaine, il savait quelles conséquences cela aurait, nous l'avions avisé au préalable que nous serions dans l'obligation de partir. Les étudiants ont une part de responsabilité, mais le gouvernement aussi.

9 En temps normal, les cours seraient terminés. Or, des trimestres au cégep à l'université sont menacés et des étudiants et élèves doivent revoir leurs plans pour l'été. Que dites-vous aux étudiants qui, tout en appuyant votre lutte, se retrouvent devant un avenir incertain à court terme?

MD: La grève restera un apprentissage pour les étudiants.

Ils se sont rassemblés, ils ont débattu et ils ont réalisé qu'ils avaient un pouvoir décisionnel entre leurs mains, ce qu'ils ne croyaient plus possible. C'est un beau gain. Pour le reste, c'est leur décision de reconduire la grève et ils l'assument.

LBB: J'aimerais leur dire que leurs sacrifices n'ont pas été vains, qu'on va tout faire pour qu'ils ne repartent pas de la négociation les mains vides. Et que le jour où cette grève va se terminer, on va s'assurer que la reprise des cours se fasse de manière cohérente.

10 Des étudiants s'en prennent aux journalistes dans les manifestations. Comment expliquez-vous cela?

LBB: Dans un premier temps, ce sont des comportements inacceptables. Il y a actuellement une polarisation, une frustration généralisée et ça touche aussi le traitement de l'information. Parfois, les gens ont l'impression qu'ils sont mal couverts et que leur message est mal transmis. Quand on est à l'extérieur des médias, on ne comprend pas toujours leur fonctionnement.

MD: En effet, je crois que ça fâche les gens - qui sont émotifs et fatigués - de voir qu'on s'attarde trop à la violence et qu'on parle peu des manifestations pacifiques.

11 Si vous deviez laisser votre poste pour une raison X, quel serait le principal conseil à votre successeur?

LBB: Mon mandat d'un an se termine le 1er juin, alors je devrai me livrer à cet exercice pour vrai. Mon conseil, c'est que lorsqu'on s'engage dans une bataille, il faut s'assurer d'y croire, d'être convaincu de ce qu'on fait, car tout le monde va essayer de nous convaincre qu'on a tort, surtout quand on se bat contre le gouvernement qui a plus de ressources que nous.

MD: Je dirais qu'il faut s'assurer d'être entouré. Je ne serais pas où je suis si je n'avais pas mon équipe autour de moi. Je l'ai choisie et je peux voir aujourd'hui, dans ce moment crucial, à quel point elle est importante.